Au nom de la terre d’Édouard Bergeon

Au nom de la terre d’Édouard Bergeon : la descente aux enfers d’une caste, celle des paysans, censés pourtant être celle des fiers défenseurs de la terre, mais qui se font happer par les engrenages de l’agro-industrie intensive.

 

Plouc à la couenne épaisse qui en a connu des vertes et des pas mûres (sécheresse, occupation allemande, maladies décimant les troupeaux…), Jacques Jarjeau (Rufus) confie à son fils, Pierre, (Guillaume Canet), également dur au mal, les rênes de son exploitation agricole. Celui-ci, avec le soutien de sa femme Claire et de son fils Thomas, va l’agrandir, la diversifier, s’endetter jusqu’au cou, multiplier ses heures, travailler comme un damné pour engraisser avec du mauvais grain ses cent mille poulets, répandre du glyphosate à la tonne… et fatalement mal finir.

moissonneusePierre (Guillaume Canet) et son fils Thomas (Anthony Bajon), avançant de front à bord de leurs Masey Ferguson, en quête de toujours plus de blé.

 Au nom de la terre est l’histoire, inspirée de faits tristement réels, d’un homme qui s’éloigne du statut de paysan pour, poussé par les banques, la mode, l’orgueil, les coopératives agro-industrielles, l’envie et la mondialisation, devenir un entrepreneur, au point de se faire bouffer par le monde de l’entreprise et ses contraintes économiques.

Pierre prend ainsi ses distances avec la terre, qu’il ne rencontre plus que lorsque, d’épuisement, il s’écroule de tout son long dans la fiente. Peu à peu, il se désintéresse d’une production de qualité et d’une vie heureuse. Sa vie ne fait plus sens.

Avec autant de sincérité que de maladresse dans la mise en scène (un peu précipitée), Au nom de la terre retrace le sillon déviant d’une agro-industrie qui rompt l’alliance avec la terre nourricière au nom du profit, de l’américanisation des moyens de production et, surtout, au détriment de ceux qui, oubliant le conseil précautionneux de Jean Giono (1895-1970)* ont préféré l’exploiter plutôt que l’honorer.

* « La mesure que le paysan ne doit pas dépasser, c’est son nécessaire, le nécessaire de sa famille, le nécessaire de quelques artisans simples, faciles à dénombrer, qui produisent à côté de lui les objets indispensables à son travail et à son aisance » (cf. Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, éditions Grasset & Fasquelle, 1938, cité in Faire progresser son potager en permaculture – Je passe à l’acte, de Xavier Mathias, éditions Actes Sud, coll. « Kaizen », 2018, p. 15). Aux XVIIIe et XIXe siècles déjà, des artisans, contraints par l’industrialisation effrénée de rompre avec leurs traditions, inspirés par les mouvements luddites, mettaient en garde contre ce productivisme qui détruit la vie des ouvriers, accélère les cadences, inonde les marchés de produits manufacturés bon marché mais généralement bas de gamme,  et, in fine, brise les liens qui existent entre le petit artisan qui travaille pour une clientèle locale qu’il connaît et à laquelle il ne pourra donc pas, sans éprouver une vaste honte, vendre des biens de piètre qualité.

Au nom de la terre – Drame français d’Édouard Bergeon – Avec Guillaume Canet, Rufus, Samir Guesmi, Anthony Bajon… – Durée : 1h43 – Sorti le 25 septembre 2019.

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