Nous n’avons pas peur des ruines, du Franco-grec Yannis Youlountas : un documentaire libertaire, sublime et revigorant qui (en ces temps d’oppression et de démocratie confisquée par des pouvoirs de plus en plus intransigeants et sans vergogne) fait vraiment du bien.
Dimanche 10 mars 2024. Matin de fin d’hiver. Onze heures. Épais brouillard. En attendant que la salle de l’Arvor se remplisse, DJ Palette propose des chants partisans de tout horizon sur sa sono portative.
Les Rennais·es sont venu·es en nombre assister à cette avant-première de Nous n’avons pas peur des ruines, en présence du réalisateur, poète et philosophe franco-grec Yannis Youlountas qui répondra avec éloquence, après la séance (chaudement applaudie), aux questions posées par le public. Ce documentaire joyeux qui rend la lutte désirable détaille celles qui sont en cours en Grèce, à Kastelli dans la vallée de la Pédiada, en Crête (avec un projet d’aéroport controversé et des dizaines de milliers d’oliviers déjà abattus, sacrifiés sur l’autel du tourisme de masse et du développement économique effréné quel que soit le coût pour l’environnement et les populations locales), en mer Méditerranée et sur les rives de celle-ci où tout le monde n’accepte pas que les réfugié·es soient laissé·es-pour-compte, abandonné·es à un triste sort. Ces luttes font écho à d’autres mouvements de contestation populaires en France, plus ou moins victorieux, que ce soit les manifestations massives contre le projet de réforme des retraites, celles des Gilets jaunes écrasées dans le sang et les gaz lacrymogènes ou les luttes contre un projet obsolète d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ou contre des retenues d’eau jugées inappropriées comme à Sivens.
Pour ce qui est d’Athènes, Yannis Youlountas zoome sur Exarcheia, ce quartier d’immeubles rebelles qui accueillent dignement des réfugié·es du monde entier dans un élan de fraternité généreuse, dans des squats autogérés qui s’avèrent nettement plus judicieux et joyeux que ces vastes centres de rétention inhumains où sont parqué·es les réfugié·es traqué·es par un État grec crétinement inhospitalier (qui n’est pas sans rappeler cette identique férocité de la Macronie vis-à-vis de toute forme de contestation de son hégémonie en général et des pauvres hères et des damné·es de la Terre en particulier).
Le gouvernement proto-fasciste de Kyriákos Mitsotákis, en place depuis 2019 suite à la défaite de la gauche d’Aléxis Tsípras, s’efforce de réduire ces humbles bastions de solidarité active. Et se ridiculise par la même occasion. S’enchaînent (en vain) opérations quasi militaires ou urbanistiques – avec la volonté par exemple de construire une station de métro au cœur d’Exarcheia. Il va sans dire que les travaux en cours et les palissades qui entourent le chantier sont régulièrement la cible de sabotages. Et que lorsqu’un squat est évacué manu militari, d’autres ouvrent aussitôt à côté et que les pratiques d’autogestion essaiment.
Face à une population unie, déterminée, riche de pratiques d’autodéfense et d’initiatives variées* – fêtes, serres potagères, dispensaire de santé gratuite, autodéfense populaire, cantines gratuites, rencontres sportives, actions directes, intrusion dans les lieux de pouvoir, manifestations féministes, réseaux de solidarité internationaux, diffusion des idées via des bibliothèques, des tracts, des blogs, des graffitis innombrables, des livres, des films, etc. –, les projets mortifères des États à tendance autoritaire, inique et inégalitaire prennent ainsi du plomb dans l’aile.
Nous n’avons pas peur des ruines du Franco-grec Yannis Youlountas exacerbe ainsi, avec une passion communicative, le goût irrépressible des humains pour la liberté, l’égalité réelle et la fraternité universelle – que nulle répression, ni menaces d’emprisonnement, ni intimidations éhontées, ne sauront jamais complètement éradiquer.
Et c’est magnifique.
Et jubilatoire.
Dehors, le brouillard s’est dissipé. Le ciel bleu est printanier.
* Pratiques insolentes et initiatives ludiques qui ne sont pas sans rappeler celles prônées dans Hyperjeu – Niveau 1 – Taquin terrible de La faction.
Nous n’avons pas peur des ruines, documentaire du Franco-grec Yannis Youlountas, avec Pia Klemp, avec le soutien d’Attac, de l’Institut coopératif de l’école moderne (pédagogie Freinet), de Radio Croco… – Durée : 1h20 – Sortie en janvier 2024.