Éloge des mauvaises herbes – Ce que nous devons à la Zad

Éloge des mauvaises herbes – Ce que nous devons à la Zad : un opuscule sur la Zad qui, au-delà de la tristesse et de la rage face au sort que l’appareil d’État lui réserva, apporte la quasi certitude que, si l’on s’y prend bien, un autre monde reste possible.

 

533x800_mauvaises-herbesJanvier 2018 : après une lutte étalée sur plusieurs décennies, le grand projet inutile imposé de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est officiellement abandonné. Je ne crois pas que le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, ait eu à annoncer durant son exercice quoi que ce soit de plus sensé.

Avril 2018 : menée par le général d’armée Richard Lizurey, à qui l’on souhaite d’être réincarné en salamandre tachetée, une vaste opération militaire est lancée (des milliers d’hommes, des chiens, des hélicoptères, des drones, des blindés, des dizaines de milliers de projectiles toxiques éparpillés dans les prés…). Objectif : détruire quelques cabanes construites et habitées par une population soucieuse de préserver le bien commun (en l’occurrence ici, un bocage merveilleux et des terres humides, des bois et des prairies, le tout préempté par l’État et la Région Loire-Atlantique en vue d’être à terme remplacé par des pistes d’atterrissages et qui a, de fait, été miraculeusement épargné durant tout ce temps par les progrès de l’agriculture productiviste intensive). Population aux mœurs frugales mais partageuses, qui, pour ce faire, développe des pratiques collectivistes. Le rapport de forces est si insensé, si inégal, qu’il ne peut pas être le fruit du hasard ni celui de la raison. Le message envoyé aux zadistes et à leurs soutiens est lourd de sens : celles et ceux qui remettent trop radicalement en cause le fonctionnement de notre glorieux système basé sur la recherche d’une croissance économique traduisible en dividendes toujours plus élevés, seront matés, traqués, expulsés, emprisonnés, mutilés. Ce sont les significations de ce rapport éminemment conflictuel entre État et zadistes que les auteurs de cet Éloge des mauvaises herbes se sont employés à mettre en mots.

Qu’est-ce que cette bataille nous dit du monde ? Quelles sont les force politiques, les idées en présence, dont l’antagonisme mène à de tels chocs ? « Mais qu’y a-t-il donc de si dangereux à la Zad pour justifier que des lieux civils, en temps de paix, subissent ce déploiement extrême de force – non pas une semaine, mais des mois durant ? » questionne la sociologue du travail Geneviève Pruvost dans son article « Zone de politisation du moindre geste » (p. 81).

Une quinzaine d’auteurs livrent leur admiration, confient leurs doutes, soulignent la vitalité (et parfois la complexité) d’une conception du quotidien (et de l’avenir) qui privilégie la mise en commun des terres et des outils, qui vante la gratuité et la solidarité et qui concrétise la possibilité d’une réelle alternative au modèle dominant dont on connaît les dégâts qu’il fait subir d’ordinaire à l’environnement et aux hommes, contrariant de la sorte la puissante propagande habituellement à l’œuvre. « Peut-être, nous dit ainsi Virginie Despentes, qu’un changement radical est possible, voire proche. Peut-être qu’il est faux d’affirmer que pour toujours et jusqu’à l’infini nous construirons des centrales nucléaires alors que nous sommes incapables de traiter leurs déchets, il est faux de prétendre que jusque la fin des temps nous autoriserons l’ouverture d’usines d’armes (…) Alors ceux qui défendent – dans leur vie quotidienne, qui fut l’expérience réelle d’une vie alternative avec tout ce qu’elle comporte de complexité et de déceptions –, ces gens-là sont des chercheurs. La zone qu’ils défendent est précieuse : c’est l’espace infime à l’intérieur duquel on se souvient qu’autre chose est possible. » (p. 39-40)

L’activiste indienne Vandana Shiva ajoute : « Les différents collectifs sur la Zad sont le changement qu’ils veulent voir. Ils ne devraient pas être criminalisés, mais célébrés. » (p. 61)

Avec sa contribution « Désobéir à la stupidité républicaine » (tout un programme !), l’architecte, urbaniste et scénographe Patrick Bouchain (qui a participé à la réhabilitation de la friche de la Belle de Mai à Marseille) confirme la pertinence des choix faits par les zadistes dont l’habitat, s’il est rudimentaire, « est aussi préparatoire à ce qu’il faudrait faire désormais. C’est une glorification de la liberté de construire. Certains peuvent dire : ces cabanes sont mal construites, sans autorisation, sans respect des normes. Mais regardons les logements sociaux mal construits alors qu’ils étaient règlementaires : aujourd’hui on les démolit. Les cabanes de la Zad ne sont pas mal construites. Elles sont construites modestement. Et en réalité, elles sont très bien construites. » (p. 172)

On le voit bien, l’État et les institutions, bien connus pour avoir toujours un train de retard sur les révolutions sociétales qui prennent racine dans les interstices, pourraient en prendre de la graine. L’aventure zadiste est féconde. En ces temps aux enjeux colossaux (surpopulation et pollutions citadines, risques majeurs liés au bouleversement climatique, crise économique et sociale, etc.), les « mauvaises herbes » montrent une façon d’occuper le terrain et d’apporter des réponses fonctionnelles. À ceux qui, concernant le climat, sont surtout capables d’en créer un qui soit particulièrement anxiogène, on ne pourra que recommander la lecture de cet opuscule. Car comme le rappelle à bon escient Bruno Latour, « pour le moment dans la fumée des fumigènes et l’éclair des cocktails Molotov, on ne le voit peut-être pas, mais le rapport entre la Zad et l’État est bien d’éducation réciproque. » (p. 101) Et le pire des élèves n’est bien sûr pas celui qu’on croit.

Éloge des mauvaises herbes – Ce que nous devons à la Zad, sous la direction de Jade Lindgaard, avec les contributions de Alice Leroy (traductions), Olivier Abel, Christophe Bonneuil, Patrick Bouchain, Alain Damasio, Virginie Despentes, Amandine Gay, John Jordan, Bruno Latour, Wilfried Lupano, Geneviève Pruvost, Nathalie Quintane, Kristin Ross, Pablo Servigne, Vandana Shiva et Starhawk – Éditions Les Liens qui Libèrent, février 2020, 208 pages, 7,90 € (livre de poche) – NB : Les recettes des ventes de ce livre iront aux activités développées sur la Zad.

 

 

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