Le neuvième et dernier tome de la série Magasin Général vient de paraitre aux éditions Casterman. Lorsqu’une série s’achève on est partagé entre deux émotions : le soulagement d’une part, si, comme moi, bibliomaniaque, on ne peut s’empêcher d’acheter l’intégralité des bd… au prix du tome ça commence à picoter sérieusement. Et puis, une forme de douce mélancolie, une vague nostalgie de quitter les personnages que l’on a suivis sur autant de pages.

Magasin Général c’est une série réalisée par Régis Loisel (le fameux auteur, notamment, des Peter Pan) et Jean-Louis Tripp (auteur des quatre albums sur Jacques Gallard). Avec à la couleur François Lapierre. Et à l’adaptation des dialogues en québécois, Jimmy Beaulieu. Hé oui, ça se passe au Québec et pour plus de réalisme, les deux auteurs ont souhaité faire adapter les dialogues en québécois.

• Un joli conte sur l’émancipation d’un village de campagne.

L’histoire commence en 1926, au Québec, à Notre-Dame-des-Lacs, un petit village rural qui regroupe, dans une proximité parfois délicate, quelques familles… la famille Archambault, la famille Roberge, les sœurs Gladu, la famille Allaire et la famille Payette… et puis Marie Ducharme, qui tient le fameux magasin général où tout le monde vient s’approvisionner en clous, vis, peinture, ustensiles en tous genres… Il était initialement prévu de réaliser une trilogie autour de ce personnage central, Marie, veuve depuis peu. Mais, Loisel et Tripp n’ont pas pu résister à gonfler le récit et à tisser méticuleusement une histoire profonde et réaliste qui s’apparente tantôt à un joli conte sur l’émancipation, tantôt à un récit lent mais complet sur la vie d’un village de campagne à la fin des années 20.

Le nœud de l’histoire se situe là. L’émancipation des habitants de ce village de Notre-Dame-des-Lacs. L’élément perturbateur, au départ, c’est Serge, un énigmatique motard moustachu ayant vécu en France. Sur les neuf tomes de cette série, on suit donc les personnages, on les voit évoluer, doucement, au rythme lent et régulier des saisons qui défilent.

• Des dialogues superbes, une sonorité réaliste et brute.

Ce qui pêche, parfois, en bd, ce sont les dialogues, exceptés quelques dialoguistes hors pair, je citerai pour ma part Manu Larcenet et Gibrat (mais ce sont des goûts très personnels). Ici, les dialogues sont superbes… Alors peut-être est-ce l’exotisme québécois ? Cela joue certainement, mais il est certain que nous sommes immédiatement embarqués par la sonorité réaliste et brute des échanges des villageois. On lit sans s’en rendre compte avec l’accent de nos cousins d’outre-Atlantique. Une qualité littéraire indéniable de cette série donc, qui facilite l’immersion et l’attachement aux personnages.

• Une collaboration réussie entre Loisel et Tripp

Voilà pour le topo général. Le dernier tome vient alors tout juste de sortir. Encore un bel album. Il faut dire que Magasin Général est le fruit d’une belle collaboration entre Loisel et Tripp. Le premier livre les dessins. Il est le maître de la base mais c’est ensuite Tripp qui a le contrôle et qui se réapproprie le travail de Loisel. Le jeu de cette collaboration consiste à trouver le point d’équilibre. Alors c’est vrai que l’on reconnait instantanément la patte de Loisel. Surtout en ce qui concerne les personnages. Mais le travail de Tripp est d’une incroyable complexité, il lui faut composer avec un dessin préalable qui ne correspond pas forcément avec sa vision du scénario et œuvrer sur la profondeur, la mise en forme concrète. C’est là que s’amorce l’échange mailistique dont on a un aperçu dans L’arrière-boutique du Magasin Général, le off de la série qui permet d’apprécier le fonctionnement d’une telle collaboration. Cet échange qui consiste à partager, pour les deux auteurs, son point de vue sur telle ou telle image, tel personnage, l’épaule droite d’untel qui devrait être un peu plus relevée… C’est toujours passionnant de découvrir les coulisses de la réalisation d’une bd.

Le neuvième tome de Magasin Général est réussi. Il est dans la droite ligne des précédents. En guise d’épilogue, à la fin de l’album, une série originale semble nous être offerte, pour nous apprendre ce qu’il advient des villageois dans les années qui suivent la fin de ce dernier épisode. Petite nostalgie alors… Magasin Général c’est terminé. Mais c’était bien. Câline de bine, cibole, tarbarnouche c’était vraiment ben. C’est ben d’valeur* que ce soit terminé.

*dommage

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