Kongo : un documentaire franco-congolais de Hadrien La Vapeur et de l’anthopologue Corto Vaclav sur les mondes invisibles.
Les eaux, ici emprisonnées dans un flacon pharmacologique de seconde main, recèlent bien des mystères.
L’apôtre Jean-Médard a des soucis. Non seulement les soins qu’il apporte à ses patients ne lui rapportent pas de quoi nourrir sa famille, se plaint-il, mais en plus, le mari de l’une de ses fidèles* l’accuse d’avoir pratiqué la magie noire et d’avoir, par un acte de sorcellerie funeste, fait la foudre s’abattre sur leur maison – par un jour sans orage qui plus est –, provoquant de fait la mort des enfants de la maisonnée. Il risque de perdre sa licence administrative de guérisseur s’il ne parvient pas à prouver son innocence dans cette affaire.
Jean-Médard croit aux esprits de morts (avec lesquels il communique). Il croit aussi à ceux des « sirènes » (esprits protecteurs très puissants qui vivent dans les cours d’eau, qu’il s’agit donc de se concilier et qui, dans le cas contraire, peuvent devenir malfaisants**). Même s’ils ont également reçu des enseignements catholiques à l’école du fait de la colonisation et de l’évangélisation prosélyte qui l’accompagna, ses fidèles aussi partagent ces croyances animistes ancestrales… Les Chinois qui, près du puissant fleuve tumultueux, creusent d’immenses carrières à ciel ouvert, sont quant à eux à mille lieues de ces préoccupations mystiques.
Kongo raconte donc l’histoire d’un guérisseur qui, clope au bec et vêtu de survêts de jogging contrefaits, se bat contre des diables, se débat contre la pauvreté, capture (dans des flacons recyclés de pharmacie) des « sirènes », ritualise ses interventions démiurgiques avec force chants, fumigations et bougies coulantes, déploie un tout un apparat (une mise en scène liturgique), cherche à étendre et amplifier son prestige, expulse les humeurs sombres de sa patientèle issue des quartiers populaires de la fourmillante Brazzaville… Bref, Kongo propose une plongée envoûtante dans un Congo en proie à une urbanisation débridée, à des pluies torrentielles et à une modernité, potentiellement dévastatrices et qui à ce titre réclame l’intervention des sagesses spirituelles ancestrales et de leurs protocoles qui vont bien au-delà du folklore.
Le tribunal va avoir à démêler le vrai du faux et le visible de l’invisible, dans cette affaire de sorts jetés par des féticheurs.
* L’apôtre Jean-Médard appartient à l’église ngunza. Il est à la fois chef spirituel et guérisseur. Ses patients sont donc aussi ses fidèles.
** En pleine crise de covid-19 (virus microscopique qu’on peut considérer comme appartenant à ces mondes invisibles, à l’œil nu du moins, qu’il s’agit de se concilier), il est difficile de ne pas établir un parallèle entre les problèmes environnementaux liés au saccage des espaces naturels (saccage qui s’accompagne hélas de l’extinction organisée d’espèces animales) et l’apparition de nouvelles formes microbiennes portées jusque-là par exemple juste par des pangolins (ou des chauves-souris) et transmises à l’homme qui tend à trop étendre ses zones de prédation et d’habitation. NB : Kongo est ainsi le dernier film que je verrai cet hiver à l’Arvor car, est-il annoncé ce 14 mars 2020 : « Suite aux dernières décisions du gouvernement, nous vous informons de la fermeture du cinéma pour une durée indéterminée. Au plaisir de vous retrouver très vite… »