The Square, de Ruben Ostlünd

The Square, de Ruben Ostlünd : une œuvre d’art peut-elle modifier nos consciences ? Et si oui, les musées sont-ils appelés à devenir les nouveaux temples de la spiritualité agissante ?

 

L’expo d’art contemporain que concocte le musée X-Royal de Stockholm, avec à sa tête Christian (Claes Bang), dandy aisé, est axée sur une œuvre polémique : « The Square ». Il s’agit d’un simple carré. Son aire est un sanctuaire. Quiconque en franchit le périmètre, selon les règles édictées par l’artiste, devient immédiatement un citoyen à part entière qui à ce titre bénéficie de droits et de devoirs – signalant en creux que l’espace environnant « The Square » est devenu a contrario une zone de non-droit et que les droits fondamentaux y sont massivement bafoués.

Dans cette monarchie suédoise très urbaine et clivée, dépeinte par Ruben Ostlünd, où les clodos pullulent, où le problème des réfugiés trouve également écho, où les rapports humains sont imprégnés de préjugés, dégoulinent d’égoïsmes, sont régis par des rapports de forces où luxe tapageur et misère sans fond coexistent, l’œuvre « The Square » fait office de point de focale. Déjà dans Snow therapy (2015), Ruben Ostlünd usait de la satire sociale pour montrer que notre altruisme a souvent des limites – qui sont entre autres la lâcheté, l’égoïsme, la peur, l’ignorance ou bien encore l’instinct de survie.

Quand la société rogne sur les droits humains fondamentaux, ceux-ci reprennent vie, dans une installation d’art contemporain (lui-même devenu dernier refuge pour des valeurs menacées par le cynisme, la fainéantise intellectuelle, la complaisance et la barbarie). Et ces valeurs, alors enracinées par le biais de quelque création artistique financée par une fondation philanthropique, peuvent de nouveau, imperceptiblement ou brutalement, contribuer à élever l’humanité. Immanquablement, elles atteignent leur but : imprégner les consciences – comme c’est le cas avec Christian (dont on suit les tourments depuis qu’il s’est fait voler son portefeuille et son mobile en pleine rue et qu’il a entamé des démarches peu scrupuleuses pour qu’on lui retourne son bien), esthète qui galère un peu pour se montrer à la hauteur de ses ambitions d’homme de bien.

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Imaginée par l’aussi facétieux que profond Ruben Ostlünd, l’expo de gravillons en tas géométriques, « You have nothing » au musée X-Royal, à Stockholm, n’est pas sans rappeler les interrogations d’un autre Suédois quant à ce qui restera de nous dans quelques siècles ou millénaires

Mécènes opulents écœurants de suffisance, petit personnel d’un musée en quête de buzz, direction chargée de la communication et de la publicité, public visé et moyens de l’atteindre, performances artistiques monstrueuses pour épater la galerie snobinarde (on pense ici à cette scène étonnante où un homme « sauvage » simiesque Terry Notary – s’en prend à quelques membres de la haute société en tenue de soirée lors d’un gala de donateurs, effarouchés par ce happening sans limite qui met en scène la sauvagerie primitive des hommes), The Square balaie le petit monde de l’art conceptuel, sans peur de l’égratigner au passage, et dépoussière le panthéon de nos valeurs si souvent sacrifiées sur l’autel de la compétitivité. Et récolte en prime une palme à Cannes.

The Square – Comédie dramatique franco-germano-dano-suédoise de Ruben Ostlünd – Avec Claes Bang, Terry Notary… – Durée : 2h22 – Sortie le 18 octobre 2017 – Palme d’Or du 69ᵉ Festival de Cannes.

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