Comment saboter un pipeline, d’Andreas Malm

Comment saboter un pipeline : un essai d’Andreas Malm sur l’urgence d’agir et les moyens à notre disposition pour ce faire.

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Militant chevronné, adepte du dégonflage de pneus de SUV dans les rues d’Östermalm, quartier cossu de Stockholm, le Suédois Andreas Malm s’interroge sur un mystère de nos sociétés : pourquoi celles-ci restent globalement si passives face au dérèglement climatique dont on est à peu près sûr qu’il va aller s’amplifiant et qu’il a pour cause les quantités toujours plus importantes de CO2 (issu des énergies fossiles) rejetées dans l’atmosphère ? La planète se réchauffe. Les gouvernements et leurs réunions régulières lors des conférences pour le climat sont pour l’heure impuissants à juguler ces phénomènes. Les projets d’extraction d’énergies fossiles n’ont cessé de se multiplier ; les capitaux investis dans ce domaine ne cessent de croître. La société civile s’organise pour alerter sur ces aberrations. Le mouvement international Extinction Rebellion coordonne des actions par principe non-violentes. L’écologiste suédoise Greta Thunberg monte aux tribunes pour invectiver les puissants. En France, les Gilets jaunes refusent avec virulence la taxe carbone, qui « pesait cinq fois plus lourd  sur les 10 pour cent de la population les plus pauvres que sur les 10 pour cent les plus riches » (p. 117) et ils obtiennent momentanément gain de cause. Outre-Rhin, Ende Gelände mise sur des actions de désobéissance civile audacieuses et spectaculaires pour stopper en Allemagne l’extraction abusive du charbon – et de façon éphémère, mais marquant les esprits, Ende Gelände atteint ses objectifs. Mais le business as usual maintient son cap. En 2019, « les 50 plus grosses compagnies pétrolières mondiales s’apprêtaient à déverser toujours plus de combustible sur les marchés, les plus agressives étant Shell et ExxonMobil, qui entendaient augmenter leur production de 38 et 35 pour cent respectivement d’ici 2023 ; un peu en-dessous, BP prévoyait une hausse de 20 pour cent, Total de 12 pour cent. » (p. 35)

Les confinements, à cause d’un virus ayant déclenché une pandémie contre laquelle il s’agissait de lutter, ont enrayé les vagues de la contestation grossissante. Ce moment aura aussi montré qu’en cas d’urgence les gouvernements ont le pouvoir d’interrompre le business as usual. Hélas, celui-ci a repris de plus belle. Aucune leçon n’a été tirée.

« Pourquoi les émeutiers “étaient-ils aussi violents contre la propriété ? Parce que la propriété représentait la structure du pouvoir blanc qu’ils attaquaient et essayaient de détruire” [Martin Luther King Jr., "The trumpet of Conscience", in King Jr., A Testament]. » (p. 129)

Se penchant donc sur l’histoire des grands changements sociétaux historiques, Andreas Malm souligne la pluralité des tactiques qui permirent d’abattre le système d’apartheid en Afrique du Sud, d’abolir l’esclavagisme au XIXᵉ siècle, d’en finir avec le ségrégationnisme aux USA dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, d’obtenir le droit de vote des femmes grâce aux suffragettes qui n’hésitèrent pas à manifester mais aussi à engager des grèves de la faim, à braver la police et à briser des vitrines ou incendier des bâtiments. Les protestations calmes et policées n’ont pas suffi à elles seules. Il aura fallu y adjoindre des méthodes plus musclées, plus agressives, plus subversives, plus décisives – qui, à elles seules, n’auraient pas non plus suffi.

« “Aucune de ces attaques n’a manqué de faire tomber l’État”, affirme l’un des historiens de MK [abréviation de Umkhonto we Sizwe, le “Fer de lance de la nation”, émanation virulente du African National Congress, le Congrès national africain (ANC) du Sud-Africain Nelson Mandela (1918-2013)], “mais elles apportaient la preuve matérielle d’une menace potentielle tangible pour le régime – renforçant l’impression, comme l’a dit Nadine Gordimer, que quelque chose par là-bas représentait une menace confuse pour l’avenir à long terme de la suprématie blanche”. La façade de pérennité était brisée. » (page 89)

Il aura fallu montrer les dents. Apprendre à enflammer un vieux chiffon dépassant d’un bidon d’huile de moteur, fomenter des raids contre des installations militaires, et pétitionner ou répandre des tracts revendicatifs sont des facettes d’un même combat. Pour Andreas Malm, dans la continuité du philosophe allemand Günther Anders (1902-1992) ou de l’éco-féministe parisienne Françoise d’Eaubonne (1920-2005) qui n’hésita pas à participer à des actions explosives contre le réacteur nucléaire en construction de Fessenheim, une réflexion sur les modes d’action quels qu’ils soient, y compris violents donc, est à mener.

« Le seul véhicule susceptible d’accueillir le niveau de participation nécessaire pour remporter ce “combat de notre vie” est “une diversité et une pluralité de tactiques”. » (p. 146)

Andreas Malm ranime ainsi l’esprit combattant, rappelant qu’il existe (malgré tout) des combats victorieux. Quand les enjeux sont vitaux (ici ni plus ni moins que l’habitabilité de la planète remise en question par nos modes de vie énergivores qui le seront d’autant plus qu’on possèdera un capital et des moyens conséquents ; pour le dire autrement et sans chichi puisque, après tout, Andreas Malm se place résolument dans une perspective de lutte des classes : plus on sera riche, plus on polluera), il importe d’opposer un front solidaire sachant résister, capable par quelque moyen que ce soit (boycotts, manifestations, actions directes, sabotages, vandalisme, occupations, blocages, neutralisations, atteintes aux biens ciblées, etc.) de contraindre l’adversaire à revoir ses positions car les tenir serait trop coûteux, bref, de le mettre littéralement hors d’état de nuire.

« Si l’on mesure bien le désastre, il est grand temps pour le mouvement de passer de la protestation à la résistance : “Protester, c’est dire que je n’aime pas ça. Résister, c’est faire cesser ce que je n’aime pas. Protester, c’est dire que je refuse de continuer à participer à ça. Résister, c’est m’assurer que tous les autres cessent d’y participer aussi”, comme l’écrivait une éditorialiste ouest-allemande en 1968 [en l'occurrence il s'agissait d'Ulrike Meinhof comme l'indique une petite note en fin d'ouvrage], relayant les mots d’un militant du mouvement Black Power. » (p. 87)

Post-scriptum : Si le sabotage des pipelines, visant à les transformer en « flûtes », est un mode d’action pour les mouvements écologistes facétieux qu’ils soient kurdes ou amérindiens, c’est aussi, hélas, une arme de guerre et de contrôle économique comme l’a montré la mise hors d’état, par une puissance étatique non encore formellement identifiée, du gazoduc russe Nord Stream en mer Baltique, en septembre 2022, qui transportait 55 milliards de m³ de gaz naturel par an à destination de l’UE, laquelle se fournit désormais auprès de la Norvège, du Danemark, du Qatar, de l’Algérie ou des États-Unis, qui sont actuellement le 1ᵉʳ producteur au monde (grâce au gaz de schiste, dont l’extraction, sacrément polluante, en plein boom, laisse présager pour les luttes écologistes un bel avenir). NB : Quoi qu’il en soit, Andreas Malm était invité ce samedi 30 mars, pour exposer ses théories, par l’institut La Boétie, think tank du parti La France insoumise, qui est un des rares partis à soutenir sans ambiguïté l’écologie radicale, notamment incarnée en France par les Soulèvements de la Terre qui luttent âprement contre les projets  de méga-bassines par exemple.

 

Comment saboter un pipeline, essai d’Andreas Malm, La Fabrique éditions, Paris, 2020, traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque, 216 p., 14 €, disponible dans toutes les bonnes librairies, en l’occurrence, déniché ici à Rennes chez Comment dire, 5 rue Jules Simon, à l’occasion de la soirée de lancement de la revue de l’Imprimerie Nocturne Fièr·es 2.

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