Samouraïs dans la brousse, de Guillaume Jan : un road-trip équatorial qui nous fait découvrir les mœurs apaisées de ces singes fascinants, les bonobos, qui peuplent les forêts primaires de plus en plus rares.
Voilà un livre terrible ! Ça raconte l’histoire d’un reporter (l’auteur) qui s’aventure sur les traces d’un primatologue japonais de l’université de Kyoto, Takayoshi Kano, né en 1938 à Osaka. Takayoshi Kano s’est intéressé dans les années 70 aux grands singes qui vivent en Afrique équatoriale, parfaitement adaptés à leur environnement chaud, forestier et pluvieux : chimpanzés, en Tanzanie, d’abord, puis bonobos, au Zaïre*, à l’est du parc national de la Salonga, et ce, sous le règne du dictateur Joseph-Désiré Mobutu (1930-1997) qui gardera son trône 32 années durant, avant d’être chassé du pouvoir en 1997.
« Quand il pénètre dans un tunnel de verdure, il en savoure la fraîcheur. Le vent baigne ses cheveux noirs, il ne pense à rien, ou bien il se rappelle la carapace écaillée du pangolin** qu’un enfant a voulu lui vendre ce matin, à bord du bac rouillé qui traversait la Tshuapa. » (page 12)
« Cette plongée dans le jardin d’Éden, ne serait-elle pas le plus entêtant des voyages que l’on pourrait jamais accomplir ? La plus pure des odyssées ? Pas celle d’un Occidental qui partirait divaguer dans un coin reculé de la planète, mais celle d’un hominidé qui rejoint la terre de ses ancêtres, celle d’un primate venu visiter ses cousins. Marcher sur les traces de Kano et des bonobos, ce n’est pas s’aventurer dans l’inconnu : c’est rentrer au pays. » (page 20)
Takayoshi Kano « émettra des hypothèses sur l’origine de l’homme, sur les sources de notre empathie, de notre besoin d’aimer et d’être aimés : si nous avons pu nous développer si rapidement dans l’environnement hostile de la savane, si nous y avons trouvé notre place malgré notre lenteur et notre faiblesse musculaire, c’est peut-être parce que nous avons su coopérer mieux que toute autre espèce animale. Et si c’était là notre unique force ? » (pages 134-135)
Les bonobos (Pan paniscus) sont nos plus proches cousins, paraît-il, d’après quelques experts en génétique. En les observant, ces grands singes habiles et paisibles, ce sont en quelque sorte les reflets d’un lointain passé antédiluvien qui nous sont présentés. Ces singes, très sociaux (les bébés meurent de chagrin et cessent de s’alimenter lorsque, capturée ou abattue par des chasseurs braconnant sans vergogne la viande de brousse, leur mère est contrainte de les abandonner), sont en danger. Leur espace vital est grignoté par les activités économiques ou prédatrices de leurs cousins Homo sapiens. Lapidairement, Samouraïs dans la brousse dresse une géopolitique du désastre économique, écologique et politique, qui raconte, malgré quelques efforts remarquables notamment initiés par des scientifiques comme T. Kano, la triste épopée de leur quasi éradication : « Quand les enfants pleurent de faim, on est moins à cheval sur les principes. Un bonobo, c’est 45 kg de bidoche, ce n’est pas rien. » (page 160)
« Après le génocide rwandais, quand 2 millions de Hutus et de Tutsis fuiront au Zaïre, un état de guerre permanent s’installera dans le pays. Un premier conflit éclatera en 1996, Mobutu sera renversé l’année suivante et le Zaïre redeviendra la République démocratique du Congo. Une deuxième guerre sera déclarée en 1998, une grande guerre, une longue guerre, une sale guerre qui tuera des centaines de milliers de civils tous les ans, qui génèrera des millions de déplacés. Dommage collatéral, la population des bonobos sera laminée. S’ils étaient 100 000 dans les années 1970, ils ne seront plus que 12 000 ou 15 000 en 2002, quand le conflit prendra fin. » (page 168)
Cet ouvrage de Guillaume Jan, Samouraïs dans la brousse, est bien sûr un plaidoyer pudique, dénué de tout prosélytisme pesant, pour regarder les autres espèces avec un œil fraternel. Cousinade oblige, il est plus qu’urgent qu’Homos sapiens fasse honneur à sa prestigieuse hérédité.
* Le Zaïre, ex-colonie belge qui accéda à l’indépendance en 1960, s’appelle la République démocratique du Congo (RD Congo ou Kongo Kinshasa) depuis 1997.
** En période de confinement contraint pour cause de zoonose mal maîtrisée par les autorités, ce malicieux fourmilier écailleux s’immisce décidément un peu partout…
Samouraïs dans la brousse, de Guillaume Jan – Éditions Paulsen, Paris – 2018 – 216 pages – 21,50 €.