La Traversée – Retour de bagne d’un Communard déporté, de Gérard Hamon

La Traversée, de Gérard Hamon : un récit historique, à bord du Var, un trois-mâts chargé de Communards déportés en Nouvelle-Calédonie, puis amnistiés, qui s’en reviennent en métropole via le canal de Suez fraîchement inauguré.

 

« Plusieurs fois, il nous a semblé que Lemosy [le commandant du Var] intervenait, sans nous le montrer, pour que ses hommes soient à la hauteur de leur fonction. Rien n’est plus terrible que de donner du pouvoir sur les autres à des personnes qui n’ont aucun tact, aucune conscience des responsabilités et de leur fonction. » (p. 19)

Écrit sous la forme d’un journal quotidien tenu par ***, un Communard parisien, originaire de Saint-Aubin-d’Aubigné (Ille-et-Vilaine), La Traversée nous convie à partager les pensées, les souvenirs, les impressions, les espoirs et les inquiétudes de cet homme. Gérard Hamon, pour ce faire, s’est inspiré de la vie d’Amédée Guélet, un Communard qui a réellement existé et autour duquel l’auteur a brodé pour élaborer ce document original étayé de mille détails authentiques qui en font une leçon d’histoire vivante, érudite et irriguée par les expériences de ces époustouflants vaincus.

« Certes, tout comme moi, il ne doute pas du projet exaltant que proposait la Commune, c’est pourquoi il n’avait alors pas pensé un seul instant aux conséquences d’une défaite. Nous savons bien que si personne ne s’y met, les riches continueront toujours à nous dominer, à nous maintenir dans la misère. Mais quand même, toutes ces morts abominables, toutes ces souffrances inimaginables ont-elles été utiles ? » (p. 91)

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*** a survécu au siège de Paris par les Prussiens. Aussi il a connu l’instauration de la Commune, le 18 mars 1871. Ce gouvernement prolétaire éphémère refusait l’occupation prussienne et prônait des mesures sociales égalitaires, qui n’étaient pas exactement celles qui avaient eu cours sous le Second Empire de Napoléon III dit « Badinguet » (1808-1873).

Apparu sous le gouvernement de défense nationale, après la capitulation face aux Prussiens, ce mouvement réellement révolutionnaire, porté par des idéaux communistes, est réprimé par les troupes réactionnaires des « Versaillais », c’est-à-dire l’armée fidèle au gouvernement du premier président de la IIIe République, Adolphe Thiers (1797-1877) réfugié à Versailles et qui va, pour mener à bien ces opérations de « retour à la normale », bénéficier de la bienveillance de l’armée prussienne.

La Commune sera de fait impitoyablement écrasée lors d’une « semaine sanglante », fin mai 1871. Les Communards ayant échappé à ce massacre (qui fit plus de 20 000 morts parmi les insurgés) seront exécutés, emprisonnés, humiliés, affamés, bannis, déportés aux antipodes, et notamment sur l’Île des Pins et à Nouméa.

« Pour mon argent en billets que j’ai cachés sous une latte, c’est moins sûr. Il y aura eu beaucoup de monde à passer dans mon appartement et le commissaire du quartier y a mené une perquisition. Je ne crois pas que les policiers soient d’une honnêteté scrupuleuse, surtout quand il n’y a pas de risque. Ils savaient bien que je n’étais pas prêt de revenir, ils pouvaient même penser que je ne réapparaîtrais jamais. Sans doute ai-je trop vu de comportements lâches et méprisables, cela fausse mon jugement. Il y a certainement des personnes sur qui nous pouvons compter, sinon m’être engagé pour la Commune n’aurait plus de sens. C’est bien parce que nous pensons que les individus peuvent avoir de bons penchants que nous avons commencé à la faire exister. » (p. 179-180)

Les républicains d’alors, en cette fin de XIXe siècle (NB : qui n’ont que le nom de commun avec les Républicains d’aujourd’hui), via des harangues de Victor Hugo (1802-1885) notamment, vont cependant adopter des mesures de clémence vis-à-vis de ces révolutionnaires, dont la descente aux enfers est stoppée.

Via le retour au bercail de *** et la description de leurs rudes conditions de vie, Gérard Hamon rend ainsi brillamment hommage à ces humbles hommes et femmes qui ont cru en l’école gratuite et laïque pour tous, en la redistribution équitable des biens produits, en la solidarité entre damnés ou en la fin des privilèges éhontés, mais qui en ont bien bavé pour tenter de faire un tant soit peu aboutir leurs humanistes desseins… Un siècle et demi plus tard, on le voit, leurs idées sont encore fertiles et éminemment nécessaires.

« Les bateaux à voiles blanches se font plus nombreux. Je connais maintenant leur nom : des felouques. Il s’est trouvé plusieurs personnes parmi nous qui en connaissaient le nom. Je m’aperçois qu’à nous tous, nous avons beaucoup de connaissances. Si l’on fait la somme de tous les métiers qui ont été pratiqués et sont connus par l’ensemble des amnistiés, cela représente un savoir qu’aucun d’entre nous, seul, ne pourrait atteindre. En poursuivant mon raisonnement, j’en viens à cette idée qu’aucun individu, quelles que soient ses capacités,  ne saurait égaler ce que peut faire et connaître un groupe qui conjugue habilement ses efforts et ses connaissances. » (p. 243)

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Ci-dessus, retour du Var à Port-Vendres et débarquement des amnistiés (illustration parue dans Le Monde illustré du 13 septembre 1879).

Post-scriptum : En compagnie de Roland Michon, également spécialiste de la Commune de Paris et scénariste de la magnifique BD Des graines sous la neige dessinée et colorisée par Laëtitia Rouxel (Locus Solus, 2017, ouvrage publié avec le soutien de la Région Bretagne), Gérard Hamon présentera La Traversée  à l’occasion de la 1ère édition des Panama Papiers au bar Le Panama (rue Bigot de Préameneu, Rennes) le samedi 17 juin 2017.

La Traversée – Retour de bagne d’un Communard déporté, de Gérard Hamon – Éditions Pontcerq, Rennes, 2016 – 296 pages, 12 €.

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