Les cancrelats à coups de machette, de Frédéric Paulin

Les cancrelats à coups de machette, de Frédéric Paulin : un polar noir et amer qui est tout sauf en chocolat.

Kigali_Rwanda_Memorial_LanceFer de lance utilisée lors du génocide de 1994 durant lequel les Tutsis et leurs soutiens ou assimilés furent véritablement considérés comme du gibier – Mémorial de Kigali, Rwanda.

Le Rwanda dans les années 90 a été déchiqueté par une guerre fratricide. Fanatisée (notamment par les médias toujours prompts à colporter de la marchandise avariée, comme la sinistre Radio Télévision Libre des Mille Collines qui est un peu, toutes proportions gardées, l’équivalente de notre Radio Courtoisie à nous), une partie de la population s’est liguée contre une autre, désignée comme des moins-que-rien, des parasites, des cafards (des « inyenzi » pour reprendre le terme kinyarwanda* employé par celles et ceux qui préparaient leur déchaînement génocidaire et se regroupèrent en milices sanguinaires, les Interahamwes).

Ce fut une véritable boucherie, cent jours durant, sous le regard (aux paupières largement baissées) de l’Onu et des pays occidentaux qui virent venir ce massacre et le laissèrent se dérouler sans intervenir, voire en continuant de soutenir le gouvernement rwandais. Viols pratiqués systématiquement comme arme de guerre, massacres d’innocents, chasse à l’homme, dénonciations, exterminations, crimes contre l’humanité, toute la galerie des horreurs est passée en revue.

C’est sur ce background historique, réel, documenté, que se déploie le polar de Paulin. Celui-ci nous a habitués à cet usage habile du matériau historique. Il a ainsi abordé le traumatisme de l’Algérie jadis française dans La grande peur du petit Blanc ou le problème des Balkans et du trafic d’armes dans 600 coups par minute.

Paulin-cancrelats-couverture-270x386Ici on suit donc la geste vengeresse d’un boxeur tutsi, François Gatama, qui a des comptes à régler avec les commanditaires et les exécutants de cette Saint-Barthélemy à la sauce arachide. De « chassé » (abahigwaga) miraculeusement épargné grâce à ses talents de boxeur qui lui auront valu de se faire remarquer (et protéger) par des gens influents comme le commissaire Télesphore Ndahimana, il devient vingt ans plus tard, après avoir raccroché les gants, chasseur impitoyable, sur le territoire métropolitain où moult Hutus s’étaient exilés après que le vent avait tourné en leur défaveur. Les faits narrés sont donc assez effroyables. Ça fait souvent froid dans le dos ; ça soulève le cœur à maintes reprises ; ça dessille sur l’abominable face obscure de l’âme humaine – et ça en fait donc une œuvre utile à l’instar d’une piqûre de rappel un peu brusque. Pour ne pas oublier. Pour se prémunir, une fois encore. Et pour, rêvons un peu, inventer des remèdes ou des concepts dans le meilleur des cas à même d’éviter les récidives et les radotages de l’Histoire (rarement à court d’idées pour raviver la barbarie à l’encontre de ceux qui auront été considérés comme des « riens », des cancrelats, qu’on pourrait dès lors impunément écrabouiller sous son talon).

 

* Langue parlée par 99 % de la population rwandaise.

Les cancrelats à coups de machette, de Frédéric Paulin – Éditions Goater, coll. « Goater Noir », Rennes, 2018, 244 pages, 18 € (illustration de la couverture : Pierre Macé).

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