Petit pays, de Gaël Faye

Petit pays, de Gaël Faye : un roman largement autobiographique sur une tragédie génocidaire et une adolescence qui s’en trouve, forcément, bouleversée.

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« – Tu as vu ce qu’ils ont fait à nos familles, au Rwanda, Gaby ? a repris Gino. Si on ne se protège pas, c’est eux qui vont nous tuer, comme ils ont tué ma mère.

Francis envoyait des ronds de fumée au-dessus de nos têtes. Armand a cessé de faire le pitre. J’aurais voulu dire à Gino qu’il se trompait, qu’il généralisait, que si on se vengeait à chaque fois, la guerre serait sans fin, mais j’étais perturbé par ce qu’il venait de révéler sur sa mère. Je me disais que son chagrin était plus fort que sa raison. La souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. En un sens, elle est injuste. » (p. 170-171)

Ça se passe au Burundi, dans les années 90 – autant dire hier –, dans une impasse d’un quartier résidentiel aisé de Bujumbura. On y suit le quotidien de Gaby, pré-ado né d’un père entrepreneur européen et d’une mère rwandaise tutsie. Ses jeux enfantins avec Armand, un voisin fils d’ambassadeur, Gino, Francis et compagnie, prennent bientôt une teinte dramatique. Car la rumeur s’amplifie : sur le Rwanda limitrophe plane l’ombre de plus en plus menaçante d’une guerre des Hutus, de plus en plus virulents et vindicatifs, menée contre les Tutsis et les Hutus modérés. Propagande raciste omniprésente, vieilles rancunes larvées, complaisance des États et des gouvernements, cicatrices des guerres passées mal pansées : tout est malheureusement en place pour que les êtres humains normaux se transforment en monstres sanguinaires et sombrent dans une folie meurtrière. L’attentat savamment orchestré (dont les commanditaires restent inconnus ce jour) contre le Falcon 50 présidentiel rwandais, au-dessus de l’aéroport de Kigali, entraînant la mort des présidents du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana (1937-1994) et Cyprien Ntaryamira (1955-1994), qui étaient peut-être les seuls espoirs pour préserver la paix dans la région des Grands Lacs, précipite celle-ci dans le chaos, la violence fratricide qu’illustrent les convois interminables de réfugié·es traumatisé·es.

Vu à travers les yeux d’un ado innocent à peine sorti de l’enviable confort d’une enfance dorée, le génocide perpétré dans cette région d’Afrique centrale durant trois mois d’horreur, d’avril à juillet 1994, devient terriblement proche, bouleversant les lecteur·rices de ce roman irrigué par un réel sanglant qui obtient, entre autres récompenses, le 29ᵉ prix Goncourt des lycéens en 2016.

« – Vous avez lu tous ces livres ? j’ai demandé.

– Oui. Certains plusieurs fois même. Ce sont les grands amours de ma vie. Ils me font rire, pleurer, douter, réfléchir. Ils me permettent de m’échapper. Ils m’ont changée, ont fait de moi une autre personne.

– Un livre peut nous changer ?

– Bien sûr un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres. Ce sont des génies endormis. » (page 172)

 Petit pays, de Gaël Faye, Grasset, Paris, coll. « Le Livre de Poche », 224 pages, 7,20 €.

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