Sa gueule d’Arabe, de Thomas B. Yahi.

Sa gueule d’Arabe : un roman de Thomas B. Yahi sur le gâchis de la politique ségrégationniste en vigueur dans les banlieues françaises malmenées.

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« Celui qui essayait de se défendre ou de sauver sa commande coûte que coûte prenait des risques inutiles. Par contre, il en tirait un profit symbolique auprès des autres. À la guerre comme à la livraison, c’est à celui qui en a le plus. Certains avaient l’habitude de la baston, et il leur importait peu de savoir pourquoi ils protégeaient un bout de pizza qui ne leur appartenait pas, et pour lequel on les exploitait. Quand on livre, on est dans l’action. Et dans l’action, on ne médite pas forcément sur sa condition. On exécute les ordres. » (page 34)

Ce premier roman fonctionne comme une chorale, un peu maladroite et décousue. Celles et ceux qui ont connu Khalil, jeune tagueur livreur de pizzas à Lille, le racontent par bribes : sa mère ; Bastien, surtout, qui partage la même passion pour les tags sauvages et les mêmes aventures en tant que livreur de pizzas à mobylette ; Abdellak, un pote de quartier de Khalil avec qui il partage les mêmes codes et se heurte aux mêmes barrières…

« Moi j’pense qu’on se rend compte qu’on est pas comme les autres quand on va dans un milieu différent. Les cé-francs, eux, ils allaient en ville avec leurs copines, et nous on y allait avec notre clique. On voyait qu’on était pas comme les autres. » (p. 88)

Ce patchwork de témoignages et de confidences établit progressivement un triste constat sociologique : celui d’une France des années 2000 à plusieurs étages, où toutes et tous ne bénéficient pas des mêmes droits, où le contrat social (pourtant par principe égalitaire) est sans cesse bafoué – les violences de la Bac, les contrôles au faciès, les brimades dans le monde du travail et les descentes de police n’étant que quelques-uns des aspects les plus saillants des discriminations lamentables qui façonnent un monde au final clairement raciste.

Et ce ne sont pas les récentes saillies de la candidate LR Valérie Pécresse, laquelle souhaiterait ressortir de la cave les Kärsher pensés métaphoriquement par N. Sarkozy comme une solution pour apaiser une situation explosive, qui risquent de bonifier la donne.

« Il avait déclaré une fois, en prenant un ton d’intello fier de sortir une phrase façonnée avec minutie : “Je descends d’un peuple qui a été colonisé par un peuple dont je descends aussi.” (…) il ne gardait aucun contact avec ses aïeuls – ni les colonisateurs, ni les colonisés. (…) il avait grandi dans un quartier populaire sans imaginer y passer le restant de ses jours, depuis longtemps en quête du chemin par lequel il s’en évaderait. Au final, c’était un mec qui ne savait pas où il allait, ni d’où il venait. À part des Biscottes [des fameux immeubles de dix-huit étages que les habitants surnommaient ainsi], sa genèse, son mythe originel. » (pages 94-95)

Sa gueule d’Arabe, de Thomas B. Yahi, constitue aussi un modeste hommage à Zyed Benna, Bouna Traoré, Riad Hamlaoui, Hakim Djelassi, Lahoucine Aït Oumghar morts comme tant d’autres des suites d’interventions policières (à Clichy-sous-Bois, dans le Vieux-Lille ou à Montigny-en-Gohelle) aussi brutales qu’hasardeuses – et qu’il est difficile d’interpréter autrement que comme étant les fruits amers d’un racisme d’État contre lequel on n’a pas fini de lutter.

NB : C’est lors d’une soirée consacrée à R comme répressions (produit par l’Imprimerie Nocturne) et au journal lillois La Brique (dont une copieuse rétrospective d’articles, Sans pub et sans pitié, est parue aux éditions Les Étaques), organisée par la librairie L’Établi des Mots qu’on aura pu faire la connaissance de cette structure éditoriale bellement engagée : Les Étaques.

Sa gueule d’Arabe, roman de Thomas B. Yahi, Éditions Les Étaques, Ronchin, 2018, 8 €.

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