Bernard Maris expliqué à ceux qui ne comprennent rien à l’économie

Gilles Raveaud rend hommage avec une prose simple et limpide à la pensée du regretté économiste Bernard Maris, « l’Oncle Bernard » de Charlie Hebdo. Les illustrations des dessinateurs de Charlie, Coco, Riss, Vuillemin, Willem, Juin et Félix entrent en résonance avec une pensée économique alternative et joyeuse, critique à l’égard du capitalisme et inspirée par Marx, Keynes et Freud.

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Souvent décrit comme un « économiste iconoclaste de gauche », Bernard Maris écrivait des chroniques à Charlie depuis vingt ans. Il avait rédigé un ballon d’essai qui n’avait pas été vraiment remarqué car « trop compliqué ». Finalement, dans un esprit humoristique, il a décidé d’expliquer l’économie en s’adressant à des « neveux débiles ». Succès immédiat. Devenu « Oncle Bernard », il marquera les esprits par son ton libre et décalé, à l’image du journal qui le publiait. Il sera tragiquement assassiné durant les attentats de janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. Entre temps, il a publié de nombreux livres qui lui ont permis de développer une pensée originale à contre-courant des voix dominantes de sa discipline.

Maris maîtrisait parfaitement toutes les théories mathématiques économiques. Toutefois, il insiste sur le fait que l’économie est avant tout un discours, et que le langage mathématique est trop souvent utilisé pour justifier les pires aberrations, pour confisquer la pensée politique. Pour lui, l’économie n’est pas une science, il n’y a pas de « lois du marché » auxquelles des peuples entiers devraient se soumettre sans possibilité de faire entendre d’autres voix, d’autres choix de sociétés.

« Le fondement de l’économie, c’est la psychologie. »

En se référant à Keynes et Freud, il insiste sur toute la dimension psychologique du capitalisme. Loin d’être la somme des actions d’individus rationnels et éclairés, il est le réceptacle du désir et des fantasmes, rêve d’immortalité, il se révèle animé par une pulsion de mort et d’accumulation qui conduit à une fin tragique. Les individus sont traversés par des « pulsions mimétiques » en clair, ils désirent ce que l’autre désire, dans un mouvement d’auto-renforcement qui conduit à une rivalité sans fin, et surtout à un désir de possession pour se distinguer et canaliser son agressivité, sans souci de « l’utilité du produit » qui devient une sorte de fétiche. Ce n’est plus le plaisir ou le bonheur qui est recherché au travers de la consommation, mais s’accaparer le petit signifiant à même d’impressionner le patron, voisin ou collègue, au risque de perdre sa vie pour une illusion.

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Dans capitalisme et pulsion de mort (2009), écrit avec l’économiste Gilles Doaslter, Bernard Maris reprend la thèse de Freud de la « pulsion de mort », à savoir que les hommes vivraient une ambivalence fondamentale entre Éros et Thanatos, création et anéantissement… Tout ceci s’applique particulièrement au capitalisme, car il est basé sur la notion même d’accumulation, sur l’idée que « plus c’est nécessairement mieux », sans réflexions sur les fins. Amassant les marchandises, il est à la source de la destruction écologique.

Après son analyse de Keynes, Maris se consacrera à Marx dans l’ouvrage Marx, ô Marx, pourquoi m’as-tu abandonné (2010) où il analyse les raisons de l’échec du communisme. Il fait également le constat de l’échec de la gauche après 1983 à proposer un futur désirable, s’étant inféodée aux puissances financières. Il est aussi critique à l’égard de l’Union Européenne qui n’a pas su créer une vraie solidarité entre États, discutant la possibilité d’une sortie de l’euro.

Maris était également passionné par l’œuvre de Michel Houellebecq dont les romans offrent une illustration littéraire de la servitude et de la solitude de l’homo œconomicus, soumis à l’extension du domaine de la lutte, au fait que les impératifs économiques ont pénétré les rapports humains et dissous le collectif, livrant l’individu à une existence désenchantée dans son errance entre deux rayonnages de supermarché.

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À contre-courant des discours libéraux, Bernard Maris insistait sur la gratuité et la coopération, sources de progrès scientifique et social. C’est la gratuité qui génère culture et civilisation. La recherche scientifique par exemple, marche grâce au don, à l’échange. C’est aussi ces comportements qui créent l’abondance, ennemis du marché qui lui fonctionne grâce à la rareté.

C’est un réel plaisir de lire le livre de Gilles Raveaud qui synthétise la pensée de Maris en mettant en avant ses composantes psychologiques, sa grande érudition qui lui permet de proposer une analyse fine des problématiques économiques contemporaines. Il fait partie des voix dissidentes qui permettent de trouver des alternatives au discours mainstream du travail et de la souffrance, pour contrer la résignation à l’idéologie du moment.

L’auteur : Gilles Raveaud enseigne la politique et l’économie à l’Institut d’études européennes de l’université de Paris VIII Saint-Denis. Il collabore régulièrement aux émissions « On arrête pas l’éco », « La librairie de l’eco » et au magazine Alternatives économiques.

Bernard Maris expliqué à ceux qui ne comprennent rien à l’économie de Gilles Raveaud, paru le 30/03/2017, éditions Les Échappés, 17 euros.

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