Avec Tableau final de l’amour, l’auteur et dramaturge québécois Larry Tremblay dessine un portrait organique de Francis Bacon, ou comment la jouissance amoureuse se syncrétise en substance créatrice. Une éblouissante peinture littéraire de la chair et des sens.
« Nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez le boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l’animal… » – Francis Bacon
Tableau final de l’amour, le dernier roman de Larry Tremblay s’inspire librement de la vie de Francis Bacon à l’époque de sa liaison sulfureuse avec le jeune escroc de haut vol Georges Dyyer. Mais ne cherchez pas à connaître le vrai du faux, l’intérêt du récit réside moins dans la biographie du peintre que dans l’accomplissement de son art. Un support à la création artistique, libérée de toute figuration ou même de toute interprétation. Ceci n’est pas une histoire d’amour mais une dévoration et une sécrétion. Le corps de Georges Dyyer fond sur la toile à la manière des autres personnages des tableaux de Francis Bacon. La passion mortifère du peintre pour son amant devient un bloc de chair que l’artiste façonne, modèle, immortalise et dont il ne cesse de s’inspirer « l’amour avait déjà commis tous les crimes. Un défi pour moi d’en imaginer de nouveau » (p. 11). De l’humain, ne subsiste que la viande. Seule cette dernière compte, parle, évoque. Larry Tremblay triture la pulpe de l’écriture pour en extirper des flux sanguins et des points de tensions. Palpitations à vif.
Ne pas peindre une histoire, ne pas raconter une anecdote, ne pas illustrer un titre glorieux apposé au-dessus de la toile, simplement transmettre la violence d’une sensation. (p. 42)
Tel le peintre sur sa toile, le dramaturge jette les mots sur la page blanche et les travaille en couches successives. Ses phrases sont des pigments écarlates qui délimitent les zones d’ombres de l’artiste. Une palette de couleurs aux nuances de sang et de terre. De viande et de stupre. Matière brute, violente, frontale jusqu’à la lumière finale. Larry Tremblay part d’un membre du corps pour construire ses romans. Le cœur pour son précédent opus, le sexe pour Tableau final de l’amour. Son style s’extirpe du bas-ventre. Un récit séminal qui grouille, transpire, vibre, exsude, suinte, saigne, coule, éructe. Le vocable de la chair. La parole des viscères. Le cri de la gorge d’un enfant asthmatique battu par son père parce que différent des autres. Francis Bacon a manqué d’air à six ans. Adulte, il éprouvera ce même sentiment d’asphyxie face aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale. L’origine de l’immonde. L’histoire de l’humanité se résume à une boucherie, un champ de bataille, une tuerie animale et sauvage. Viande massacrée et cris d’épouvante ; « Pour moi il n’y y a toujours eu qu’une seule chose à peindre le corps et son cri » (p. 110). L’amour se transforme en carnage. Jusqu’à la mort. Rupture finale de l’amour. Un tableau littéraire immersif, brut et sensuel à lire avec la chair des mains, des yeux et du ventre !
Le seul endroit où l’homme se sent absolument seul c’est dans sa viande. La seule certitude, c’est la certitude de son corps. La solitude de sa viande. (p. 88)
Aucun intérêt. Le peuple en a rien à foutre.
À l’Imprimerie nocturne, on n’est pas de cet avis. Nombre de pans de la culture contemporaine, y compris québécoise ou d’Outre-Manche, méritent d’être explorés. Rester curieux·se et ouvert·e à la nouveauté comme à l’originalité fait partie de nos fondamentaux. Cherchez peut-être un autre endroit pour aller déverser vos dés à coudre de bile.