Revoir Les Chroniques de Riddick : un peu de muscles, beaucoup d’ambition

En 2000, le réalisateur et scénariste David Twohy présentait Pitch Black, série B de SF plus que respectable, où l’on suivait une troupe formée par les survivants d’un crash de vaisseau sur une planète désertique qui devaient se défendre face à de féroces créatures venues les dévorer. Adoptant un ton relativement hard-boiled, pas inédit, mais rafraîchissant pour ce type de production, le film Les Chroniques de Riddick avait marqué les esprits pour le spectacle qu’il proposait, comparativement à son budget de 23 millions, et surtout pour le personnage de Richard B. Riddick, détenu nyctalope incarné par un Vin Diesel tout en cool, muscles et punchlines. Ces deux éléments alliés permettront au film de rapporter quelque 53,2 millions à Universal Studios, et d’acquérir, au fil des années, un statut culte.

RiddickPoster

 

   Juste sorti de son second rôle chez Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan (1997) et de celui du Géant de fer dans le film éponyme du bon Brad Bird en 1998, c’est sur Pitch Black que Vin Diesel a été révélé au grand public, ce qui lui permettra d’enchaîner avec deux monstres : Fast and Furious (2001) et xXx (2002). Auréolé du succès en salle de ces deux films, il contacte Twohy pour poursuivre les aventures de Riddick, comme ils l’avaient prévu déjà sur le tournage de Pitch Black. Nous sommes alors début 2003. Les derniers blockbusters avec Diesel à l’affiche ont très bien marché, raflant plus du double de leur budget, et la SF a le vent en poupe, avec la sortie (et le carton au box-office) de Matrix Reloaded, rapportant 740 millions à Warner pour un budget de 150. Les cadres d’Universal (studio qui produit le film) font ce même constat, et l’incroyable survient alors : on alloue quelque 110 millions de dollars à David Twohy pour réaliser Les Chroniques de Riddick, Vin Diesel en sera le producteur, et ils auront carte blanche.

Soucieux de conserver l’aspect série B qui rendait le premier film si plaisant, et porté par une ambition démesurée pour ses personnages, Twohy va entamer une préproduction extraordinaire, avec l’aide de Kevin Ishioka, petit génie du design dont les Chroniques sera le troisième film en tant que directeur artistique. Le mot d’ordre est simple : il s’agit d’étendre au maximum l’univers entraperçu dans Pitch Black.

Le réalisateur et scénariste David Twohy sur le tournage

Le réalisateur et scénariste David Twohy sur le tournage

 

« Je savais qu’il y avait un piège dans lequel beaucoup de suites de films tombaient : refaire plus ou moins la même chose, encore et encore. Donc je me suis dit : “La solution est de ne pas faire ce qu’on attend de moi. Ne pas retourner sur la même planète, ne pas montrer les mêmes monstres. En fait, ne même pas faire pas un film de monstres.” Et si on changeait de genre, en gardant pourtant le même ton, les mêmes personnages ? » David Twohy.

Le film s’ouvre en nous présentant les Necromongers, une caste de moines-soldats qui croient en l’Antéverse, un univers parallèle où la mort n’existe pas. Ceux-ci détruisent une planète après avoir converti une partie de sa population à leur foi. Nous retrouvons ensuite Riddick sur une planète désolée, où il apprend de mercenaires qu’un citoyen de New Mecca (Imam, un survivant de Pitch Black) veut le voir et demande son aide pour repousser l’invasion des Necros qui s’en viennent détruire Helion Prime : « Une comète précède toujours leur arrivée », lui dit-il. Riddick refuse, et Imam est tué lors de l’invasion. Notre bon héros, qui souhaite se venger, fait irruption alors qu’un des lieutenants de Lord Marshall (le grand chef des Necros) donne une leçon sur l’antéverse aux citoyens de New Mecca. Après avoir (rapidement) porté le coup de grâce à l’assassin d’Imam, Riddick est rattrapé par le Marshall qui lui tend le couteau encore couvert du sang de son soldat et lui dit « Ce que tu as tué t’appartient ». La situation tourne au vinaigre et Riddick se voit emprisonner sur la planète Crematoria, où il retrouve Jack (la seule autre survivante de Pitch Black) qui se fait maintenant appeler Kyra. De retour sur Helion Prime pour l’affrontement final, Riddick triomphe de Lord Marshall, mais Kyra est mortellement blessée. Il s’approche d’elle pour assister à ses derniers moments et, épuisé, se laisse tomber en arrière, sur le trône du Marshall. Travelling arrière, les soldats Necros s’agenouillent devant leur nouveau leader, tandis que Riddick murmure : « Ce que tu as tué t’appartient ».

Les Chroniques de Riddick nous emmène dans des paysages désertiques gelés ; des mégalopoles extraordinaires où se croisent voyageurs, commerçants, voleurs ; dans une prison souterraine sur une planète brûlée. On y croise des mercenaires chasseurs de prime, des hybrides mécaniques et télépathes, des élémentals, d’énormes chiens recouverts d’écailles, etc. Ce sont deux genres majeurs qui s’entremêlent dans le film. La comète censée annoncer l’arrivée des Necromongers, par exemple, n’est en fait que l’ensemble de l’armada du Marshall, agrégée en un seul bloc, avant l’entrée dans l’atmosphère. Idem pour leurs « icônes », ces totems de quelque cent mètres laissés sur chaque planète conquise, qui sont juste les rampes de lancement d’une arme de destruction massive… Avec un mélange unique de fantaisie et de SF à l’ancienne, Twohy nous présente univers dense, parfois nébuleux, mais d’une générosité extraordinaire. L’univers ne s’étend pas qu’autour du personnage principal, et il n’y a pas de longs tunnels didactiques sur la nature cosmos et du reste pour aider le spectateur, et c’est là la force du film : Les mondes paraissent vivants, habités. On a donc un réel sentiment d’ampleur, renforcé par une maîtrise absolue de son univers visuel.

Chaque planète est radicalement différente, chaque civilisation est visuellement identifiable, grâce aux décors, aux accessoires. Suivant la logique définie par Twohy avec ses dessins préparatoires (« C’est en regardant le passé qu’on prédit le futur »), Ishioka et son équipe, aidés par la costumière Ellen Mirojnick, le chef accessoiriste Don Anderson et le décorateur Holger Gross créent non seulement une charte visuelle pour chaque planète et chaque peuple, mais aussi une histoire de l’art, individuelle à chaque planète, et donc une identité qui leur est propre. Pour assurer le dépaysement et surtout mieux contrôler l’univers visuel du film, l’équipe décide de profiter du budget confortable du film, pour tourner intégralement en studio.

décor utilisé pour la planète Crematoria, plus grand plateau du tournage (60x80m)

Décor utilisé pour la planète Crematoria, plus grand plateau du tournage (60x80m)

« Le choix de construire des décors ou d’utiliser des fonds verts est guidé par deux choses. Quelle importance a cette scène dans le film, et doit-on beaucoup tourner dans cet environnement ? Ensuite, il faut savoir qu’en construisant un décor, deux choses se produisent : Les caméramen voient ce qu’ils filment, ils s’investissent dans le projet et deviennent plus créatifs. Ils cherchent de nouveaux angles, des nouveaux plans, auxquels on aurait pas forcément pensé. Pareil pour les acteurs, qui voient les décors, et sont beaucoup plus impliqués. Ils se disent « mince, je suis sur une autre planète ». David Twohy.

  

Ainsi, les rues de New Mecca sont un immense décor construit pour imiter une ville millénaire, carrefour de civilisations. Des éléments anciens en pierre de taille grossière sont recouverts par des fresques plus finement ouvragées, elles-mêmes légèrement fissurées, et recouvertes par une couche de chaux à la va-vite, indiquant le passage du temps. Les costumes et accessoires appuient aussi cet aspect cosmopolite. Les vaisseaux de la patrouille aérienne évoquent un cimeterre, les uniformes des soldats et leurs armes sont finement ouvragés, couverts de motifs délicats et élégants, et semblent plus cérémoniels que fonctionnels.

  Les soldats Necromongers portent quand à eux des tenues purement martiales, sobres et intégralement grises, qui tranchent radicalement avec les tons chauds, bruns et ocres de New Mecca. On découvrira plus tard l’intérieur des vaisseaux Necros (qu’ils appellent eux-mêmes des Basiliques). Le vaisseau mère, Necropolis, semble figé dans le temps, avec ses décorations toutes de marbre noir et de bronze, le rapprochant plus du temple baroque décadent que l’engin militaire. Les soldats blessés deviennent des Lensors, scanners sur pattes, ultra-sensibles, mais dénués d’intelligence et de conscience, et les communications d’un vaisseau à l’autre se font via les QuasiDead, Necros ayant choisi d’abandonner leur identité pour devenir des hybrides. Chaque élément prend part dans un ensemble cohérent, chaque accessoire, costume, décor, raconte une histoire qui donne corps à l’intrigue et ses enjeux.

Vin Diesel et David Twohy sur le plateau

Vin Diesel et David Twohy sur le plateau

   Le monde SF que nous offrent David Twohy et Vin Diesel semblable à nul autre, certes un peu fou, mais totalement inédit dans son ton et son traitement (ne serait-ce qu’en faisant fi des manichéismes auxquels on nous a habitués) n’est rien de moins une proposition radicale d’une ambition folle pour la science-fiction moderne au cinéma. Nous suivons Riddick (personnage moralement ambivalent s’il en est) évoluer dans ces mondes, mû par ses intérêts, pris dans une histoire plus grande que lui et qui ne l’intéresse pas. Tantôt reclus sur une planète glaciale désolée, prisonnier aux mains de mercenaires sans foi ni loi, ou dans une prison souterraine sur une planète brûlante, il deviendra finalement souverain de ce qui devrait être les « méchants », et ce par accident. Les Chroniques (petit bijou de direction artistique, on ne le répétera jamais assez) ne sont qu’une des aventures de notre héros, qui en a vécu bien d’autres avant Pitch Black et encore d’autres après Riddick (2013). A l’instar d’un Conan le Cimmérien tour à tour roi, voleur, pèlerin, Riddck est devenu par ce film un héros mythologique, avec une identité extrêmement forte et donc une formidable plasticité. En accordant ainsi cette dimension à leur personnage, en plus des fresques épiques qu’ils lui font traverser, Twohy et Diesel lui ont conféré un aspect purement mythologique, et l’ont donc rendu virtuellement immortel.

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