Capharnaüm, de (et avec) Nadine Labaki

Capharnaüm : un regard saisissant sur un monde d’après-guerre loin d’être toujours réjouissant.

 

Né à Beyrouth, au Liban*, dans une famille nombreuse logée à mauvaise enseigne, Zain (Zain Alrafeea), 12 ans environ (il n’a pas d’état civil et ses parents n’ont pas la mémoire des chiffres), est à la barre et narre ses déboires. Face au juge perplexe, il reproche à ses parents de l’avoir fait naître. Inspirée de faits tristement réels, l’histoire ici ne précisera pas quelle jurisprudence en émana.

Capharnaüm, récompensé avec le Prix du Jury à Cannes (où, avis à nos abonné·e·s multimillionnaires peu concerné·e·s par les vertus redistributives de l’impôt sur le revenu, se déroulait, durant le week-end du 11 novembre, le 2e salon de l’émigration fiscale et de la propriété de luxe), c’est donc l’histoire de la misère (qui touche les femmes et les enfants d’abord), son procès. C’est d’ailleurs tourné en décors urbains naturels, pour faire plus vrai, avec des acteurs quasi tous issus de la vie réelle (comme les députés LREM) et non pas du monde du cinéma – où l’on trouve aussi de bons acteurs. Bidonville, immeubles insalubres, jobs précaires, sans-papiers traqués, trafic d’êtres humains, destins broyés par le « destin » (sous la bannière duquel on regroupera : la géopolitique guerrière, l’absence d’éducation et de perspectives librement choisies, les mesures antisociales…) qui décidément tend à s’acharner sur les pauvres gens (et leurs enfants), Capharnaüm, c’est un saut dans un bazar indémerdable.

capharnaum

Le petit Yonas (Boluwatife Treasure Bankole) et son tuteur de fortune, Zain (Zain Alrafeea), font une petite pause entre deux péripéties cafardeuses.

Dans cet environnement sordide, digne des Misérables de Victor Hugo (1862), voire d’Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola (1976), Zain va devoir se sortir les doigts du cul, faire preuve d’un moral à toute épreuve. D’autant qu’il devra bientôt s’occuper à temps complet de Yonas (Boluwatife Treasure Bankole), le bébé pas encore sevré de la belle Rahil (Yordanos Shifera), une Éthiopienne qui vit dans la clandestinité, et réunir les fonds, pour lui et Yonas, en vendant de la drogue frelatée et des chauffe-eau d’occase, en vue de quitter ce bourbier pour rejoindre la Turquie, ou la Suède, à bord d’un beau bateau blanc qui les éloignera à tout jamais de leur condition de damnés.

* Le Liban est, hélas pour sa pomme, au cœur d’une région du globe où les frontières, les leaderships et la quiétude sont quotidiennement menacés. Citons l’Israël du très vindicatif Benyamin Netanyahou, la Palestine occupée (qui plus est sous blocus en ce qui concerne Gaza) et l’Égypte sous l’emprise du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, au Sud. L’Iraq, qui se remet non sans peine de plusieurs décennies de guerre à l’Est. Puis, un peu plus loin, pas complètement apaisées, les Républiques islamiques d’Iran et d’Afghanistan. Au Nord, la Syrie du très contesté Bachar el-Assad et la Turquie du rigide Erdoğan. Sans parler du Kurdistan en quête d’autonomie, à cheval sur plusieurs États, de l’État islamique déconfit et de la Méditerranée parcourue d’esquifs chargés de réfugiés libyens, soudanais, tchadiens, somaliens ou yéménites qui, si on les y autorisait, feraient bien escale à Chypre, ce petit paradis fiscal au large des côtés de ce même Liban… Chaos global qui a des répercussions sur le capharnaüm local…


Capharnaüm – Drame libano-français de (et avec) Nadine Labaki – Avec Zain Alrafeea, Boluwatife Treasure Bankole, Alaa ChouchNiye, Yordanos Shifera… – Sortie le 17 octobre 2018 – Durée : 2h03.

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