Vincent Gouriou : une histoire de genre humain

Après une exposition autour d’habitants de la rue de Paris en septembre et octobre, à l’occasion des 15 ans du centre LGBT de Rennes, le photographe brestois Vincent Gouriou a présenté la série Genre(s) à la Maison des associations (qui était visible jusqu’au 25 novembre). Rencontre.

 

Vincent Gouriou-Rennes-imprimerie nocturne-Karine Baudot-2La lumière se pose sur deux mains jointes et deux alliances, les visages heureux d’une famille homoparentale, deux hommes qui s’étreignent en milieu rural. Gestes de tendresse dans la banalité du quotidien à travers la famille aujourd’hui. Réponse à la violence du mariage pour tous loin de la peur, du rejet et de la stigmatisation liés à une représentation binaire du couple.

Visiteur subjugué et happé par les images sensibles et délicates de Vincent Gouriou, belles à en pleurer  dans leur douceur picturale, leur  justesse émotionnelle et leur perfection formelle et tristes à en sourire quand parfois il capte dans une pause la mélancolie et la solitude des êtres avec cette pudeur lumineuse qui apporte une touche de grâce en sus. Qui donne la foi sans croire. Qui tend à l’universalité de l’être, toujours le même dans ses différences. Rencontre avec un photographe qui transcende les identités. Juste une histoire de genre humain.

 

« Je ne souhaite pas être voyeur mais davantage me tourner vers des choses universelles, ne pas montrer l’étiquette visible immédiatement, mais des gestes d’affection, d’amour, de protection… »

 

 

        ■ Quand avez-vous commencé à prendre des photos ?

J’ai commencé à l’adolescence avec une chambre noire. Je devais avoir 14, 15 ans. Je me suis d’abord intéressé au développement suite à la découverte d’une vieille malle avec des photos de mon père, photographe amateur, parti en Afrique avec sa première femme. J’ai développé les négatifs. Ensuite, j’ai acheté un appareil-photo et pris des photos par intermittence. Puis, j’ai rencontré Nathalie Luyer qui dirigeait le magazine Vis-à-vis dans les années 90. Je la consultais plusieurs fois par an, elle me donnait son avis sur mon travail, m’apportait des références. C’est une amie que je vois encore. À ce moment-là, j’ai également participé à quelques workshops à Arles, avec Anders Petersen notamment en 2009. Une rencontre électro-choc assez violente, peu de temps après mes débuts. À l’époque, attiré par le milieu de la mode, je photographiais des hommes et des statues. Il a trouvé ces photos trop lisses, trop en surface : « tout ça est trop propre comme vous », m’a-t-il lancé. Après cette remarque, il pensait ne pas me revoir le lendemain. Mais je suis revenu. Il m’a donné des conseils tels que d’arrêter de prendre des beaux mecs en photos, d’aller plus loin dans la nature humaine. Un rencontre mal commencée qui s’est bien terminée.

       ■ La lumière est au centre de votre œuvre. Vous a-t-elle tout de suite préoccupé ?

Effectivement, sur mes premières photos adolescent, j’accordais déjà une attention particulière à la lumière. Dans mon souvenir, chaque image passait par son prisme. Sur mes premières séries sur les statues, je recherchais un effet pictural et baroque afin que la lumière sculpte les corps. Aujourd’hui, je la choisis avant le décor. C’est le plus important en photo. Et comme je n’aime pas le soleil, je l’utilise peu. De manière générale, en habitant à Brest il existe une atmosphère particulière entre gris et bleu métallique. J’ai modulé mon œil pour la retranscrire.

« Il faut aller au plus profond de soi et se trouver pour avancer »

      ■ Comment votre style s’est-il imposé ? Vous êtes-vous beaucoup cherché ?

Oui, je me suis cherché. Je n’ai pas trouvé mon style tout seul, les rencontres dont je vous parlais tout à l’heure m’ont permis de prendre confiance en moi. J’ai beaucoup travaillé également. Il faut aller au plus profond de soi et se trouver pour avancer et cette phase passe par des tâtonnements. Comme pour une psychanalyse, nous n’empruntons pas toujours la bonne direction immédiatement.

     Et votre préférence pour la couleur ?

J’ai un peu utilisé le noir et blanc au début mais je me suis dirigé assez rapidement vers la couleur pour me débarrasser d’un regard esthétisant trop présent à cette époque-là et qui gâchait mon propos. Je souhaitais me tourner vers davantage de simplicité et me débarrasser du superficiel. Pour moi, le noir et blanc agit comme un filtre avec lequel je n’arrive pas à m’exprimer. J’aime beaucoup le noir et blanc d’Anders Petersen, moins celui de photographes humanistes. La couleur est donc venue plus naturellement, s’est imposée d’elle-même après la découverte du travail photographique de certains photographes comme Nan Goldin par exemple.

     ■ Vous partagez effectivement un goût avec Nan Goldin pour les êtres à la marge en plus pudique.

 Je ne suis pas quelqu’un de trash. Je ne ressens pas le besoin de provoquer avec une photo. Je laisse des portes d’entrée à tout le monde. Je ne souhaite pas être voyeur mais davantage me tourner vers des choses universelles, ne pas montrer l’étiquette visible immédiatement, mais des gestes d’affection, d’amour, de protection présents chez toutes les personnes de cette exposition en particulier et de mon travail en général.

    ■ Pour votre autre projet rennais en septembre et octobre autour des habitants du quartier de la rue de Paris, aviez-vous des critères de sélections ?

Il s’agissait d’une commande de Paul Vancassel pour Photo à l’ouest. Je n’avais pas une carte blanche totale avec certaines contraintes inhabituelles comme la prise de vue en extérieur alors que je travaille davantage en intérieur. Ce cahier des charges m’a permis de trouver une autre façon de procéder, d’ajouter une boîte à lumière pour détourer les visages par exemple. Pour la sélection des habitants, je souhaitais montrer la diversité du quartier et pas forcément les bobos. Il fallait créer un lien entre des personnes différentes en fonction des heures de la journée et qui ne se croisent pas forcément comme dans des mondes parallèles. On m’a présenté des figures locales et des personnages hauts en couleurs mais j’ai également abordé des gens dans la rue, je leur parlais du projet et ils acceptaient de poser pour moi.

Vincent Gouriou -Rennes-Imprimerie Nocturne-Karine BaudotBienvenue au cabaret-imprimerie nocturne-Karine baudot-6

    ■  Autant qu’un photographe, avez-vous le sentiment d’être également un auteur qui raconte une histoire ?

Oui de plus en plus. Mon rapport à l’écriture s’en ressent aussi. Et je raconte également mon histoire. La démarche photographique agit comme une forme de portrait. À travers ses choix on parle de soi pour mieux se connaître.


■ Enfin, vous venez d’obtenir la Bourse de talent 2016 dans la catégorie portrait. Quelle importance lui accordez-vous ?

Je doute tellement tout le temps. Parfois, je songe à arrêter après une séance qui se passe mal ou lorsque je n’arrive pas à obtenir ce que je veux. Cette récompense attribuée par un jury de professionnels que j’admire et qui ont choisi mon travail m’encourage à continuer. De plus, je n’ai jamais édité de livre. Cette récompense pourrait m’offrir une opportunité de démarchage. Et je pourrai proposer des photos sur une vingtaine de pages de photos dans un livre à paraître aux éditions Delpire avec les lauréats de la bourse du talent.

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Intégralité du travail de Vincent Gouriou et de ses sublimes séries ici
http://vincentgouriou.com

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