Simon Le Lagadec, Drift photographies

Du grain, une pellicule à fleur de peau, les photographies de Simon Le Lagadec emmènent loin. Quelque part Entre chien et loup, comme le titre des séries noir et blanc qu’il travaille depuis des années. Rencontre avec un lonesome photographer.

13-2030-1■ Simon, peux-tu nous raconter ton parcours et nous expliquer comment tu es venu à la photographie ?

- J’ai commencé par le théâtre au lycée, j’ai baigné dans le milieu artistique assez jeune grâce à ma mère. J’ai vraiment eu envie de faire ma vie dans le théâtre à un moment donné, je suis parti en arts du spectacle à la fac après un bac L, ça m’a pas plu du tout, j’ai raté le conservatoire. En commençant à faire la fête, la fac a pas tenu longtemps, je n’allais plus qu’à deux cours, celui d’arts plastiques et celui d’analyse de l’image fixe. Le prof était passionnant, mais j’ai quand même arrêté la fac pour m’installer dans un squatt à Paris qui s’appelait Alternation.  On avait des espaces de travail et on faisait des performances. Dans la cuisine il y avait une photographie noir et blanc sur baryté sur laquelle j’ai scotché. Un photographe est arrivé dans le squatt, je lui ai demandé de m’apprendre et il n’a jamais voulu !

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J’ai un peu zappé cette histoire de photographie, je suis parti vivre en collectif dans la montagne, jusqu’à ce que mon père me paye un voyage en Asie. J’ai choisi la Chine car j’avais un oncle là bas, ça me faisait un point de chute. Je suis arrivé à Hong Kong, il est venu m’accueillir à l’aéroport et m’a offert un vieux Nikon Fm, avec un vieil objectif, un vieux 50 avec des champignons dedans, ça je le savais pas encore ! L’idée c’était de le rejoindre à Chengdu, à 4000 bornes; ça m’a pris 6 mois et j’ai fait plein de photos. Je suis rentré je devais avoir plus d’une cinquantaine de peloches à développer. J’ai commencé à les trier, j’en ai ressorti une cinquantaine d’images que j’ai retravaillé en noir et blanc. Quelques mois après mon retour, j’ai pu exposer mes photographies à Morlaix, poussé par le reporter Hervé Ronné, et j’ai su que je voulais faire ça. Donc il fallait me trouver un apprentissage, je me suis inscrit en Cfa, j’ai du trouver un patron en urgence; les cours étaient géniaux, mais j’ai trouvé ça dans un bled paumé en Normandie, j’étais dans un appartement sordide, dans une ville sordide avec un patron sordide. Je faisais un peu de tirages mais je vendais surtout des cadres et des appareils photos; seul point positif, il faisait encore la repique à la main et j’ai appris, ce vieux métier de la photo qui n’existe presque plus.

Après j’ai eu toute une période de petits boulots, où je n’ai presque plus fait de photo. Puis grâce à une asso à Bordeaux, Corps et arts (maintenant « Le Labo révélateur d’images »), j’ai rencontré trois personnes formidables, dont Romain Carreau qui avait rejoint une école de photo à Toulouse, l’Etpa, dont j’ai fait la première année. Je me suis installé à Rennes, et j’ai continué à faire des images.

4-2030-1■ Tu présentes une exposition à Blindspot au mois d’octobre; quelles photographies seront proposées ?

- C’est toujours une série. En fait, pour ne pas partir dans tous les sens je me suis imposé une technique : un type d’objectif, un type de pellicule. A force il y a une patte qui s’est créée et j’ai commencé à devenir très draconien sur ma sélection, souvent une ou deux photo par péloche, ou acune. C’est une grande série qu’à un moment j’ai appelé Entre chien et loup, de par ma position personnelle et par l’entrechoquement dans mon travail d’univers et d’esthétiques différents.

■ Tu ne fais que du noir et blanc ?

- Oui. Sauf si je n’ai pas le choix et que je ne trouve pas de pellicule là où je me trouve, je prends de la couleur. Il y a 4 ou 5 images couleur qui me plaisent depuis que j’ai commencé. C’est toujours de l’argentique noir et blanc Ilford Hp5 400 si je peux, avec des boitiers.. qui changent souvent en raison de ma vie un peu dissolue. Mes boitiers se font souvent exploser, j’ai un cimetière d’appareils photos, ou je me les fais voler. Je suis quand même attaché à Nikon.

29-2030-1■ Tes photos se rapportent beaucoup au voyage, à l’errance; comment prépares-tu ton travail de prise de vue ?

- Je prépare rien en fait ! C’est à l’instinct, je peux passer un mois ou deux sans faire de photo. J’ai besoin de partir déjà; majoritairement quand je suis dans la vie quotidienne je fais pas d’images, j’ai besoin de faire mon sac, il y a toute une démarche dans ce sens, même si je pars qu’à 200 bornes. Je fais beaucoup d’images sur la route, dans le train, à travers les fenêtres. Une fois arrivée, je suis d’abord attiré par le lieu, le paysage, si j’ai pas dormi c’est très tôt le matin, s’il fait pas beau par la brume; j’aime bien les espaces un peu désolés. Pour ce qui est des portraits, c’est très rare que les gens posent; je suis assez timide donc il faut qu’il y ait une relation qui se construise, et ce sont jamais vraiment des portraits, c’est pris plutôt sur le vif.

« Chacun fait ce qu’il veut, c’est un peu mon credo« 

■ Tu ne fais que de l’argentique; aujourd’hui tout le monde prend des photos, même avec son téléphone, le monde de l’image a été un peu bouleversé avec le numérique, que beaucoup opposent à l’argentique. Quelle est ta position sur le sujet ?

- J’en ai rien à cirer, chacun fait ce qu’il veut, c’est un peu mon credo. Je peux juste parler de moi, pourquoi je fais de l’argentique. J’ai tendance à partir dans tous les sens; en numérique je vais pas réussir à me maîtriser, je vais avoir envie d’en faire mille, et ça me donne pas envie de les rebosser. L’argentique, c’est 36 poses qui me sont précieuses. J’ai pas beaucoup de fric, donc une péloche est sacrée; je me mets une contrainte.

31-2030-1■ Donc tu réalises tes tirages ?

- J’ai appris à faire du labo, à développer des films, mais je m’en voudrais de rater cette étape, donc ça fait partie de mon budget; je les envoie en boutique pour faire le travail de base et récupérer le film non coupé en bande, et je me suis offert un scanner de négatifs. Je coupe mes bandes par 6, je les scanne et je retravaille mes images sous photoshop, de la même manière que je le ferais en labo, dans le noir. Le labo, bien qu’agréable, c’est très contraignant pour moi, c’est une image à la fin de la nuit, sans être forcément satisfait du résultat.

drift-affiche■ Dans tout ce travail, de la prise de vue jusqu’au tirage final, quel moment préfères-tu ?

(silence) La prise de vue c’est dur, c’est assez violent. Il y a des fois quand tu sais que l’image va être bonne, t’as un flash dans le cerveau, c’est assez rare comme sensation; j’expose 40 photos à Blindspot et il y en a très peu qui m’ont fait ça. Le moment où quand tu déclenches tout est en place, c’est un moment génial.

Il y a aussi le moment où quand je scanne les images, de la voir en positif, c’est génial. Une fois que t’as réussi à faire raconter quelque chose en plus que ce que tu as vu à la prise de vue, l’image finalisée c’est aussi une grosse claque. Et à la fin quand tu la mets sur papier, puis quand les gens te font des retours positifs c’est aussi une grosse claque. Mais c’est minime par rapport à l’ensemble du processus qui est violent, quand tu reviens de deux mois de vadrouille avec deux images, tu peux passer une semaine à déprimer.

■ Quels photographes citerais-tu dans tes influences ?

- L’éventail est large ! Ça va de Cartier-Bresson, Bernard Plossu et Depardon à Diane Arbus, Anders Petersen et Michael Ackerman.

■ Ton dernier coup de cœur artistique ?

- C’est un clown, qui s’appelle Bonaventure Gacon que j’ai vu au festival Bonus. Il fait un spectacle qui s’appelle Par le Boudu, et c’est la plus belle chose que j’ai vu depuis très très longtemps, tous arts confondus.

Le site de Simon Le Lagadec37-2030-1

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