Artiste rennaise, c’est à la pointe de ses crayons que Catherine Le Carrer trace ses personnages. Des mondes de solitude, l’observation du quotidien, l’Imprimerie est allée à la rencontre de son travail, notamment à l’occasion de sa participation à deux expositions, l’une à Paris, l’autre à Brest.
■ Catherine, peux-tu nous présenter ton parcours ?
A partir de quand ?
■ Tes crayola de quand tu avais trois ans si tu veux…
Je dessine depuis toute petite en effet. J’ai commencé avec des séries de personnages, j’ai fait pas mal de travaux manuels. Plus tard j’ai poursuivi en arts plastiques au lycée, ensuite je voulais rentrer aux Beaux Arts de Nantes où je n’ai pas été prise. Je me suis rabattue sur un Bts en communication visuelle, ça m’a bien plu, mais j’avais toujours en tête les Beaux Arts. Je suis rentrée en 2006 à ceux de Lorient, j’ai eu mon diplôme national d’arts plastiques en communication en 2008 et je suis arrivée à Rennes en 2009 où j’ai terminé en 2010. Ensuite il a fallu se débrouiller, la première urgence c’était de trouver un boulot. J’ai continué tout au long de mon parcours étudiant à faire des expositions, le plus souvent collectives. J’ai touché un peu à tout, dans l’édition, l’affichage urbain, le dessin avec toujours l’humain au centre de mes préoccupations; l’humain dans cette société, en proie à ses doutes existentiels, qui sont forcément un miroir de ma propre vie.
■ Ta technique privilégiée, quelle serait-elle ?
La dessin, c’est la première façon que j’ai de mettre en forme mes idées. Elles viennent souvent de l’écoute de la radio, France Inter et France Culture, parce qu’il y a plein d’univers, des artistes, des philosophes, des généticiens, il y a tout un flot d’informations dans lequel je puise mon inspiration. Souvent par écrit avant de dessiner. Ensuite vient le tri de ces idées, de l’idée qui revient, qui est redondante et que je traite ensuite par le dessin. J’ai changé un peu le protocole que j’avais avant de dessiner directement; maintenant j’essaie de revenir sur un constat ou une critique, un sentiment obsédant. Par exemple je parle de la dépendance affective chez les êtes humains, du couple, de la difficulté à vivre à deux. C’est ma manière de travailler. Après je fais aussi du modelage, des grands formats au charbon, mais le problème reste d’avoir un atelier adéquat.
■ Au niveau des thématiques que tu évoquais, les personnages sont imaginaires ou tu t’inspires de personnes réelles ?
Comme je passe beaucoup de temps à boire des cafés en ville, je regarde beaucoup les gens. Je sais pas si c’est l’imagination de ce qu’est leur vie, le parallèle avec la mienne, mais en tous cas mes dessins sont complètement imaginaires, comme les mises en scène. Elles ressemblent à une réalité, comme les objets que je dessine, type paquet de cigarettes, une bouteille d’eau, des éléments très anodins, les attitudes des personnages sont réalistes. Après ils sont déformés, ils sont noir et blanc et je travaille aussi sur le détail, leur coudes, leurs genoux, leur expression un peu dramatique, un peu mélancolique; certains diront que c’est glauque ou triste, mais je les trouve à l’image d’une errance solitaire, une errance à deux; ça revient à l’idée que les personnages sont seuls dans la feuille papier, plutôt dépouillée.
■ Tu penses que c’est la vision que tu as de l’humain dans cette société ?
C’est un lieu commun mais on est seul. Le fait qu’ils soient seuls je pense que c’est parce qu’on est dans une société qui a du mal à partager réellement. Parce qu’elle est guidée par la peur, une peur légitime, d’être seul et de devoir affronter ce constat, comme dans la souffrance par exemple. Je vais un peu trop loin peut être, je parle des réflexions que j’ai en ce moment, et je ne dissocie pas ma vie de ce que je fais. Mes personnages sont quand même face à leurs difficultés; peut être que c’est un moyen de m’aider par ce biais ?
■ Avant l’interview on a évoqué Larcenet, mais ton travail m’a fait penser au street artist Blu mais aussi à Schiele pour certains corps; au niveau des influences quels sont tes maîtres ?
J’en ai plein, mais sur les idées et la façon dont je mets en exergue l’absurdité de nos existences, il y a David Shrigley qui est un artiste écossais qui pratique une autodérision sur son travail, même si mon dessin en est éloigné graphiquement, il m’aide beaucoup dans la façon dont il désacralise l’art, le beau et de mettre l’accent sur une recherche de simplicité. Un dessin très épuré pour se concentrer sur l’essentiel. Les situations que j’illustre, je prends un passage en laissant l’avant et l’après au spectateur; je fais aussi des sorties de champ dans mes nouveaux dessins, c’est s’intéresser au détail du moment présent. Et comme dans notre société on s’intéresse peu au moment présent, en pensant plutôt au passé, et à ce qu’il va falloir qu’on fasse, dans mes dessins j’arrive à faire cette pause. Je m’intéresse au personnage dans la forme et au poids qu’il a sur cette feuille, lui il a cette existence là à cet instant là. Je me suis éloignée de mes influences, désolée ! Il y a Kiki Smith, Louise Bourgeois, dans les thématiques qu’elle aborde et le potentiel dramaturgique que je trouve dans ses œuvres, Frida Kahlo pour la douleur, Blu dans la dimension sociale qu’il a, le côté revendicatif, qui fonce. J’aime bien ceux qui foncent en fait. Il y aurait aussi Anna Sommer.
« J’avais cette volonté de montrer mon travail, quitte à ce que ce soit déchiré le lendemain. »
■ Quels seraient les problèmes principaux d’un plasticien ou dessinateur aujourd’hui ?
Je sais pas si c’est le problème de tous les plasticiens, mais cette nécessité à la fois de devoir être productif, d’être dans un travail sincère et nourri intellectuellement, et d’un autre point de vue il faut aussi démarcher, pour présenter son travail, démarcher des lieux d’expositions; savoir mettre son ego de côté lorsqu’il y a un refus, l’aspect financier; on peut travailler avec peu, il me suffit d’un crayon et d’un papier mais si je veux faire de la céramique, il me faut un four. Mais c’est surtout ce devoir d’être diffusé, accepté, et de mêler vie privée et professionnelle. Je ne vis pas de ma création donc j’ai un boulot alimentaire, et en travaillant chez moi, j’ai réalisé que c’était parfois difficile; personnellement j’ai besoin de sortir de chez moi pour me mettre au travail. Il y a aussi ceux qui peuvent travailler en collectif et ceux qui ne peuvent pas.
■ Justement est-ce qu’investir l’espace urbain n’est pas une solution pour montrer son travail ?
Pendant ma 5ème année aux Beaux Arts, et j’avais commencé à faire ça, d’être dans le partage d’une expression personnelle pour que ça résonne chez les autres; que le regardeur ait une sorte de bénéfice, de voir quelque chose qui lui parle. Donc je ne sais pas si ça leur a parlé, mais j’avais cette volonté de montrer mon travail, quitte à ce que ce soit déchiré le lendemain. Après je fais pas de graff, c’est par le biais du collage. J’ai fait une fois une fresque chez un particulier, Le Géant rose, où j’ai eu le temps de créer en zone rurale. Ça me plairait d’y retourner, mais ça un coût aussi; par exemple les tirages plans noir et blanc ne coûtent pas très cher, mais dès qu’on vise plus grand en format; je veux bien le faire, mais il faut pouvoir le budgétiser. Ernest Pignon Ernest l’a fait, sans attendre de budgets, à Naples il a posé ses dessins, mais avec une dimension politique et manifeste.
■ Ton actualité et tes projets, quels sont-ils ?
J’ai une amie à Brest qui travaille au planning familial et qui a monté une campagne de sensibilisation sur le viol, qui s’appelle Silence on viole. Il y a eu un appel à projets d’artistes plasticiens, il y a aussi une performance théâtrale et des conférences. Il y a donc une exposition collective de 14 artistes sur cette notion de viol et le silence qu’il y a autour. Je fais donc partie des artistes exposants, un évènement important, aussi parce qu’il s’ancre dans une dimension sociale dont je ne veux pas détacher mon travail. Il y a aussi une exposition à la galerie Hélène Bailly à Paris pour ce qui concerne le travail des diplômés de l’Ecole Supérieure d’art de Bretagne. J’interviens également aux Beaux Arts de Rennes avec Lucia Salzgeber, au titre de collectif de sérigraphie.
■ Quel serait ton dernier coup de cœur artistique ?
Berlinde De Bruyckere; quelqu’un qui a vu l’exposition Les Papesses à Avignon m’en a parlé. Cette artiste là travaille en sculpture sur le corps, la chair, et c’est une femme. Sans vouloir terminer sur une note féministe. Je dirais juste que le statut d’artiste est difficile à assumer dans cette société, tout comme démocratiser l’art pour les spectateurs; ce statut a toujours été difficile dans toutes les sociétés, et en 2013 il n’est pas encore évident. Si quelqu’un a un atelier à me louer, je prends !
Silence on viole, une exposition visible à Brest jusqu’au 15 décembre 2013
Millefeuille, le travail des diplômés de l’Eesab Rennes visible à Paris du 3 décembre 2013 au 8 février 2014
D’autres travaux de Catherine Le Carrer