I, Daniel Blake, de Ken Loach

L’Imprimerie Nocturne a été voir la dernière Palme d’or cannoise : le blason britannique redoré sur la Promenade des Anglais ? Chronique de I, Daniel Blake signé Ken Loach.

 

Charpentier en arrêt-maladie pour des problèmes cardiaques, avérés et diagnostiqués, Daniel Blake (Dave Johns) est en butte à l’administration (très obtuse) chargée de réguler les flux des chômeurs allocataires de minima sociaux. Sa maladie n’est pas reconnue par ladite administration. Sans travail et de santé précaire, Daniel risque donc en plus de perdre ses maigrelets droits. Alors il lutte contre les butors de cette technocratie néo-libérale, adepte du Tina (ie « there is no alternative » : soit tu as des thunes et fais tout pour en gagner de sorte que tu conquiers ainsi une place honorable, soit le système t’annihile, t’humilie copieusement, te broie et te laisse crever la gueule ouverte sur le carreau des chiottes comme un pauvre diable qui n’a pas saisi qu’il n’y avait pas d’alternative pour les gueux). Mais le combat est salement inégal et Daniel Blake épuise toutes ses forces à essayer d’obtenir la reconnaissance de son invalidité chronique et à faire valoir ses droits à une indemnisation décente après une vie de labeur honnête et droit.

Ken Loach appuie lourdement sur la brutalité et l’inhumanité de cette société aux rouages forgés sous Margaret Thatcher et consolidés depuis au fil des privatisations de pans entiers du service public, lesquelles se produisent in fine au détriment des citoyens de seconde zone qui en pâtissent – au lieu d’en bénéficier.

Dans ce cinéma qui rend compte du désespoir des humbles et de la colère qui gronde, l’homme malade est vu comme un parasite inutile. La femme pauvre est considérée tout comme, à peine bonne à faire des ménages ou à se prostituer pour assurer quelque confort à sa progéniture bigarrée. Quant à la jeunesse, là, tout n’est peut-être pas perdu : endurcie par l’adversité, voire l’insalubrité, il lui aura été inculqué en sus les vertus du bon voisinage, ainsi que les bienfaits de l’entraide et de l’initiative (comme la contrebande de chaussures de sports fabriquées en Asie et revendues à la sauvette dans les rues de Newcastle).

Face aux lourdeurs, aux inerties, aux mesquineries d’une bureaucratie sans âme et guère charitable se tissent quand même quelques liens ténus (entre voisins, entre victimes de ce système dystopique de gestion des ressources humaines, entre ex-collègues, entre citoyens pas complètement abrutis…) qui tant bien que mal rendraient presque supportables les contraintes de cette société si peu glorieuse.

Ça suinte de misérabilisme. Ça semble exagéré, caricatural. Mais le pire est que ça offre un reflet désenchanté d’un monde, le nôtre, où la cruauté d’État est de plus en plus décomplexée, où l’administration, déshumanisée par les impératifs de rentabilité, laisse à terre les pauvres bougres, sans leur porter secours ni tenter de réanimer ceux qui peuvent l’être.

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Quand Daniel (Dave Johns) se fâche (saine colère que l’on aimerait contagieuse et irrépressible), ça chauffe et ça tague !

Signe des temps difficile à déchiffrer, ce portrait sinistre d’une Angleterre sinistrée a reçu la Palme d’or sur la Croisette ce printemps. Signe qu’une issue peut-être subsiste… et que des consciences, par-ci par-là, vont vouloir faire en sorte que le triste sort réservé au malheureux Daniel Blake ne devienne ni la norme ni la méthode ?

I, Daniel Blake – Drame britannico-franco-belge de Ken Loach – Avec Dave Johns, Hayley Squires, Brianna Shan– 1h41 – Palme d’or et Prix du jury œcuménique au 69e festival de Cannes – Sortie le 26 octobre 2016.

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