Des basses & débâcle de Léonard Taokao

Des basses & débâcle : un petit polar de Taokao noir (comme une nuit de teuf sans lune) et rose (comme le groin d’un porc).

 

Que ce soit dans le dystopique Carabistouille fiction, dans Autopsie d’un Hexagone ou dans Korbanot, les univers de Taokao sont toujours un brin excessifs, chaotiques et cinglants – au point d’en être parfois dérangeants, comme un piment qu’on croyait doux et qui nous arrache finalement le palais, l’œsophage, l’intestin grêle puis le rectum.

« Ce monde était une belle saloperie. Si tu vendais des armes de destruction massive, on t’encensait comme un bon président. Si tu commerçais des pesticides, détruisais la forêt primaire ou faisais fabriquer des fringues par des gosses de six ans, on te louait comme un grand capitaine d’Industrie. Si tu voulais faire la teuf, on te jugeait comme un sale délinquant. Un parasite. Un nocif. » (page 165)

taokaoL’imaginaire romanesque de Taokao est un reflet de ces violences qui sévissent à tous les étages de la fourmilière humaine. Rares sont les recoins* à être préservés de la brutalité des uns, des injustices subies par les autres, des horreurs perpétrées de-ci de-là. La connerie et la barbarie suintent. Les fascismes rampent et les terrorismes serpentent.

Avec ce dernier opus en date, Taokao surprendra donc de prime abord son habituel lectorat – constitué d’une cinquantaine de marginaux et de précaires qui, ayant appris à lire, en profitent pour passer du bon temps en feuilletant les pages noircies par quelque auteur du collectif Calibre 35. Y sont évoquées, dans la première partie, la vie d’un traveller (Thomas, qui travaille dur dans un resto d’altitude en hiver et organise des teufs techno le reste du temps) et de son chien (dont on lit les pensées)… On en vint presque à penser que les fines critiques** émanant d’organes de presse respectables et qui tendaient à démantibuler Taokao et ses complaisances coupables envers les ignominies crasses de nos contemporains ont fait mouche et incité celui-ci à mettre de l’eau de Seltz dans sa 8,6.

des-basses-et-debacle-taokaoCar si la première partie de Des basses & débâcle a des faux-airs de Le Club des Cinq en free-party, la suite est nettement plus relevée. Accablé par une série de mésaventures, Thomas le cuistot de seconde zone rue dans les brancards et ça devient jubilatoire. Le dernier chapitre, « Expérimental », donnera tort à ces Tartuffe qui ignorent les vertus de la verve sociale des auteurs de romans noirs. Car si pour faire face aux injustices et aux misères existentielles qui pullulent ici-bas, certains se satisfont des éditos de F.-R. Hutin, humble séminariste devenu chef d’un groupe de presse puissant après avoir hérité du titre Ouest-Éclair***, d’autres préfèrent la fiction mordante d’un Taokao vengeur. Sans doute est-ce une affaire de valeurs divergentes.

En ces mois de convergences des luttes et de mouvements sociaux « émaillés »**** de dérapages policiers honteux, d’arrestations arbitraires, d’arrêtés préfectoraux iniques et de jugements prononcés par une justice qui n’aime ni les pauvres, ni les jeunes, ni les militants insoumis, la lecture de Des basses & débâcle apportera un je-ne-sais-quoi de salutaire. Comme un regain d’énergie. On appréciera tout particulièrement les clins d’œil au Colonel Durruti (cf. Le Soviet – Tome 1 – Tuez un Salaud, réédité chez Goater) qui mettait déjà en scène des scénarios prônant l’ultra-violence symbolique et l’humour spectaculaire pour lutter contre les affreux.

 

* La musique, la drogue, l’amitié, les voyages aventureux, la complicité face à l’adversité et l’humour sont quelques-unes des « douceurs » qui rendent encore habitables ces recoins.

** Ainsi à propos de Korbanot : « roman sans queue ni tête qui collectionne les scènes de violence et les clichés racistes (…) aussi grotesque qu’insoutenable. Ne lisez pas celui-là vous ne vous en porterez que mieux. » (Stéphane Vernay, in Ouest-France, mai 2014).

*** Ce journal sera interdit à la Libération, en 1944, pour cause d’actes collaborationnistes notoires et jugés comme tels. Les chefs d’inculpation retenus à l’encontre des membres de la direction seront d’avoir soutenu « une entreprise de nature à favoriser les menées de l’ennemi et de sa propagande contre la France et ses alliés ». Des indignités nationales à vie seront prononcées par la Cour de justice de Rennes. Après ces purges, Ouest-Éclair devient Ouest-France mais la direction du journal reste aux mains des mêmes familles.

**** Les éléments de langage médiatiques sont souvent parlants. D’après le dictionnaire, émailler, c’est « parsemer pour embellir ».

Des basses & débâcle de L. Taokao, Éditions Territoires Témoins, coll. Borderline, 172 p., 2016, 15 €.

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