Autopsie d’un Hexagone : une « Taokaoscopie » en phase terminale

Nouveau polar pour Léonard Taokao aux Éditions Goater, Autopsie d’un Hexagone, ou une enquête sur toile de fond brune.

Léonard Taokao

Léonard Taokao

Imaginons une série de meurtres xénophobes qui provoquerait un tel cataclysme médiatique et politique dans notre pays (déjà mal en point du côté de son racisme ordinaire) ­qu’il tomberait, au moyen d’un large plébiscite électoral, dans les filets bruns de l’extrême droite… Toute ressemblance avec des évènements existants ou en cours d’incubation pourrait être liée (ou pas) à votre esprit « tordu et débridé » comme le suggère Léonard Taokao, en exergue de son dernier roman noir intitulé Autopsie d’un Hexagone paru aux éditions Goater Noir, spécialistes rennaises du genre (entre autres). Auteur prolifique (déjà évoqué dans nos pages avec Korbanot son précédent opus) du collectif Calibre 35, dans ce polar de politique-presque-fiction, il dissèque à la lame de rasoir le cadavre d’un Hexagone en voie de décomposition.

 

 

Autopsie d'un Hexagone-Imprimerie Nocturne_

Cadavres sur la Vilaine

En une semaine, cinq corps d’enfants émasculés d’origine maghrébine sont retrouvés dans une barque sur la Vilaine, allongés sur un drapeau à l’effigie de la croix celtique. Au bout de quelques jours, le meurtrier dévoile sur Internet, dans un message enregistré,  son projet macabre de se débarrasser de « l’invasion communautariste étrangère ». Les lieutenants Stéphane Larché et Laurent Vigolu de la police judiciaire de Rennes (très vite suppléés par Isaac Luciano, enquêteur parisien spécialiste des milieux extrémistes) se retrouvent alors avec une sale affaire sur les bras.

 

 

 « Question d’habitude, je ne connais personne qui n’ait pas les mains sales. »

À travers crimes, manipulations, complots, Léonard Taokao nous projette des factions d’extrême-droite à une rave qui tourne mal, d’une sale histoire de famille villageoise à une confrérie cléricale obscurantiste en quête de « France blanche et catholique ». Flics véreux, politiques corrompus, journalistes défoncés, prêtres défroqués, zonards à la rue jusqu’à une paisible mamie à la mémoire défaillante alimentent une enquête au vitriol, découpée en huit actes, qui monte crescendo jusqu’à l’explosion finale. Autant de personnages pas vraiment nets et condamnés à la tragédie. Chaque strate de la société en prend pour son grade, « Question d’habitude, je ne connais personne qui n’ait pas les mains sales ». Cette réponse d’un capitaine de la police judiciaire à Sonia Ruellan, jeune rédactrice de Ouest-France accro au sexe et aux psychotropes, constitue le fil rouge du roman. Clergé, justice, police, médias, quidams composent ici une civilisation réactionnaire engluée dans un patriotisme rance, acquise à la raison d’État, éblouie par un star-système boutiquier, perméable aux éructations d’une presse sensationnaliste qui n’hésite pas à livrer à la populace accro des détails scabreux sur la mort des enfants. Personne ne sortira indemne de ce brouet humain. À moins de sauver sa peau au prix du mensonge ou de devenir soi-même un étranger.

« Nous vivons dans un monde psychotique. Les fous sont au pouvoir. Depuis quand en avons-nous la certitude ? Depuis quand affrontons-nous cette réalité ? Et… combien sommes-nous à le savoir ? » Philip K.Dick

Autopsie d'un Hexagone-Imprimerie Nocturne_-2

Paysages apocalyptiques

Depuis Carabistouilles Fiction son premier roman, Léonard Taokao donne ainsi des coups de canif dans le gras de la société sur un ton féroce et salvateur. Avec Autopsie d’un Hexagone, son style s’étoffe. Les lecteurs de la première heure retrouveront (et savoureront) les passages subversifs qui défouraillent à cent à l’heure, à la faveur de dialogues uppercuts. Mais l’écriture de l’auteur gagne en épaisseur narrative et développe de surcroit un réel talent descriptif, notamment lors de visions apocalyptiques d’une campagne bretonne abandonnée et détrempée suite à des inondations torrentielles, parabole naturaliste d’une société coercitive qui prend l’eau, traversée de dérélictions absolues à l’image d’un chevreuil qui se débat dans un trou d’eau « sans se donner trop l’air d’y croire » jusqu’à la mort. L’homme s’enfonce dans la machine infernale évoquée par Philip K. Dick dans Le maître du Haut-Château : « Nous vivons dans un monde psychotique. Les fous sont au pouvoir. Depuis quand en avons-nous la certitude ? Depuis quand affrontons-nous cette réalité ? Et… combien sommes-nous à le savoir ? » Autopsie d’un Hexagone propose de dézinguer cette réalité délétère sous forme d’une «taokaoscopie » radicale au plus près de la violence psychique de notre système politique et social.

 

Autopsie d’un Hexagone – Un polar de Léonard Taokao – 256 pages – Publié en octobre 2015 aux Éditions Goater

Envie de réagir ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>