Anomalisa de Charlie Kaufman & Duke Johnson

Anomalisa : entre cauchemar de l’inéluctabilité d’une vie sans vie, humour pince-sans-rire et poésie étincelante.

anomalisa-afficheUn film. Surtout un film, avant d’être un film d’animation. Et quand on en prend conscience, alors on se dit « oui mais un film d’animation pour adultes ». Dans quel sens ? Oui il y a un peu de sexe, de corps nus. De marionnettes, d’ailleurs. Des bitures, des clopes, des conférences, des avions, une ville, des téléphones, de l’agitation. Bref, un monde d’adultes qui avancent dans tous les sens. Mais ce n’est pas que cela. Il y a aussi tout une atmosphère baignée de lenteur, contemplative, sans parole – sans être silencieuse : on y entend les bruits de portes qui grincent, les bruits des néons, le bruit étouffé des réacteurs et la petite cloche du « Fasten your seat belt » dans la calme cabine de l’avion où tout le monde dort avant d’atterrir à Cincinnati. Les bruits du moteur du taxi, le brouhaha du fond du bar, le bruit froid de la solitude de l’homme à mille lieux de sa famille qui ne semble plus l’intéresser. Un homme qui a baissé les bras, la constatation d’un passage à vide qui dure peut-être depuis longtemps. Des souvenirs, d’une a(i)mante qu’il a quittée sans raison apparente un jour il y a longtemps. Et qui n’a jamais compris. Et puis advient… une étincelle ? Un ensoleillement ?

« - Je vous trouve extraordinaire.

- Pourquoi ?

- Je ne sais pas encore, mais pour moi, c’est une évidence. »

Le parti pris esthétique est marquant, dès les premières images. Atypique. Des marionnettes comme des robots, mais si incarnées – du latin carnem : corps, viande, chair. Le mélange de techniques stop-motion et manipulation des poupées a un effet ambivalent de réalisme et de curiosité. On ressent les grains de peau d’une façon justement très charnelle, quand un gros plan se laisse aller à zoomer en lumière frisante sur un avant-bras et sa chair de poule. On ressent les frissons, les lassitudes, les espoirs. Le pertinent doublage, par des acteurs chevronnés, ajoute de l’émotion par un tremblement de voix et de la légèreté par une phrase riante. Jennifer Jason Lee y apparaît candide, fraîche et meurtrie, à mille lieux de sa prestation dans Les 8 Salopards !

« Our time is limited, we forget that. »

« Our time is limited, we forget that. »

Mais le principal moteur du film, est le questionnement sur notre individualité, le sentiment d’amour qui naît envers son prochain pour une raison apparemment inexpliquée, et aussi par le seul fait d’être un être isolé, d’être un être unique. L’attrait qui en découle, de ne pas être (continuer ? Un bout de chemin, un temps plus long ?) seul ; de trouver en son prochain des points d’accroche, des similitudes ; et au-delà, de trouver une raison d’échanger, de traverser la joie du mystère de mutuellement se découvrir et se surprendre. Le bonheur résiderait-il en de petites différences anodines entre les êtres ?

Une chambre d'hôtel, un lit, un homme las (Michael)  et une femme complexée (Lisa).

Une chambre d’hôtel, un lit, un homme las (Michael) et une femme complexée (Lisa).

En vrai, n’allez pas voir ce film (d’animation) seul, même si bien sûr vous pouvez, ou en tout cas, conseillez-le à vos amis, et échangez après. Le résultat en sera forcément étonnant et nouveau, émulant. C’est ce que j’ai eu envie de faire, moi, là, après cette projection. Et au fond, n’est-ce pas le but du cinéma et au sens plus large, de la mise en exposition au public de l’œuvre artistique ?

 

 

Au TNB jusqu’au 8 mars, séances à 22h tous les jours.

Anomalisa, film d’animation américain de Charlie Kaufman (scénario) & Duke Johnson (animation) – Avec David Thewlis, Jennifer Jason Leigh, Tom Noonan – Durée : 1h31 – Sortie le 3 février 2016 Nominé à l’Oscar et Golden Globes du meilleur film d’animation – Grand Prix à la Mostra de Venise.

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