Focus sur l’écrivain Stéphane Grangier, auteur de Rachel, Lanester 76

Voilà un roman court, comme l’annonce l’éditeur La Gidouille (Yffiniac, 22), « tour à tour extrêmement cru puis d’une tendresse et d’une poésie infinies ». Et c’est là tout l’art subtil et le challenge du scribe : décrire le réel avec une palette suffisamment contrastée, riche et ouverte.

Remugles_nouvelle_imprimerie

Stéphane Grangier, qui n’en est plus à son coup d’essai, l’a saisi parfaitement. Si avec Hollywood-Plomodiern (éd. Goater, Rennes, 2104), il embarquait ses lecteurs dans un périple rock’n'roll à travers les pampas d’Armorique dans les pas d’un footballeur professionnel à la ramasse acoquiné à un SDF amateur, ces deux-là formant une improbable paire de pieds-nickelés encombrés d’un cadavre gisant dans le coffre de la Porsche dudit sportif de haut niveau, si dans Remugles (éd. de la rue nantaise, Rennes, 2010), il nous attachait aux diableries sordides d’un couple de bourgeois qui pétait complètement les plombs, avec Rachel, Lanester 76, on entre dans la sphère des souvenirs prépubères – tellement délicats et précieux – d’un pauvre gugusse en mal d’amour qui recourt aux services d’un travelo qui se prostitue. On le conçoit, il s’agit d’un grand écart, d’une gymnastique de l’imagination qui nous permet, dans les moments fortement épicés les plus sombrement glauques, de nous ressourcer au plus près de ces instants du passé fondateurs sur lesquels, notre vie durant, on s’appuiera justement – parce qu’ils possèdent cette once de divin, ces particules d’inouï, ces coïncidences magiques de hasards heureux qui sont le socle de notre innocence première.

L’humour et la tendresse semblent être des vertus cardinales récurrentes dans tes ouvrages, y en a-t-il d’autres, en toute immodestie, qui mériteraient d’être signalées ?

Merci, déjà. Peut-être la conscience d’une certaine absurdité de la vie, ou du sentiment de défaite de l’humain face au monstre autocentré qu’il a créé de toute pièce : l’Humanité. Donc, parallèlement, avec l’inhumanité qui va avec. D’où besoin de consolation, de tendresse, et surtout d’humour, je crois.

Les pannes d’inspiration existent-elles ? Quelles en sont les causes possibles et les façons d’y remédier si tu en connais qu’on peut divulguer ?

Quand je me consacre à un projet, je n’ai pas vraiment de pannes d’inspiration. Tout est question de concentration, de travail, et surtout d’une certaine quiétude de vie, qui te permet d’avancer sur une idée, ou plusieurs, et de le faire avec constance et régularité. Le truc, c’est d’arriver à se libérer du loyer, des factures et de la guerre économique qui veut systématiquement te coller en première ligne, le fusil à la main.


« Qu’on agrémente ses récits de kebab-frites-salade ou de calamar à la béchamel, je m’en contrefous. Tout peut me plaire. »

Y a-t-il des genres d’écriture auxquels tu aimerais te frotter ?

Mégalo comme pas un, je vais retourner ta question cinq secondes. Peu importe le récit, j’aime les auteurs qui ont leur genre à eux, autrement dit un style, un univers, un monde et une façon bien à eux de l’aborder. Qu’on agrémente ses récits de kebab-frites-salade ou de calamar à la béchamel, je m’en contrefous. Tout peut me plaire. Mais je crois que je pourrais faire plein de trucs, d’ailleurs actuellement je suis sur l’ancien projet, documentation à l’appui, d’un roman noir s’apparentant plutôt au genre « thriller » (comme d’habitude, je prends donc le contrepied de ce que j’ai avancé précédemment). Sauf de la SF, que j’ai arrêté de lire à environ 15 ans et demi. Même si j’admire les gens qui sont capables d’en écrire. Du cul, peut-être, ou du gore, jusqu’à la simple histoire d’amour et les tourments qu’elle renferme. Dans ce cadre, mon dernier court roman, Rachel, Lanester 76, publié en début d’années aux Éditions La Gidouille est un récit personnel et intimiste, sur l’enfance. Peut-être pour s’en souvenir avant qu’elle ne disparaisse, en moi. Mais chez moi, je pense que le « genre » dépend principalement du personnage, de l’état d’esprit dans lequel il se trouve et de l’histoire qui se déroule avec et autour de lui. Fin de la parenthèse mégalo (haha).

Quels sont tes prochains rendez-vous avec tes lecteurs·trices ?

Béééé, pour faire mon bankable, je te répondrais bien « il y en a tellement que je ne sais pas par lequel commencer », mais à ce jour, je n’en vois pas (à part aller boire des coups de temps à autre chez les copains du Carnaby Bar, à Rennes, là où il me semble y avoir quelques chaleureux lecteurs grâce à l’indéfectible curiosité et fidélité du personnel de la maison (clin d’œil ). Ah si, Rue des livres, à Rennes, mais c’est l’année prochaine.

Avec quels éditeurs rêverais-tu de bosser ?

Avec celui qui me verserait annuellement 150 000 euros, environ, et sans contrepartie, tout ça pour pouvoir faire le tour du monde jusqu’à rejoindre de temps à autre la station MIR (j’aime beaucoup l’espace).

Pour être sérieux, en vérité je ne rêve plus, c’est surtout ce que je travaille ou n’arrive pas à travailler qui me préoccupe. Mais, pour répondre à ta question, avec un éditeur qui a du répondant, qui est susceptible de me rentrer dedans (de croiser le fer, pour avancer le projet, pour mener un bouquin plus loin) et avec qui je serais constamment en communication (oui, là-dessus je suis assez pénible, sans doute parce que perfectionniste). Un éditeur qui aime ses auteurs, cherche à faire de la qualité et ne te prend pas spécifiquement pour le commercial de sa boîte d’édition, aussi. Mais je ne connais pas assez d’éditeurs pour me faire une idée précise, je préfère laisser l’idée de « rêve » aux livres eux-mêmes. Sinon, je suis un peu un affectif, aussi, donc c’est à l’échange et à la rencontre que ça se passe.


« L’idée de jungle peut également s’apparenter à un monde où tout reste à défricher, où tout reste à faire, et c’est ça, je pense, le plus important. »

Dans la jungle des belles lettres, peut-on survivre longtemps sans attaché·e de presse ?

Je ne connais pas de jungle (et encore moins d’attachée de presse). Dans n’importe quel cas, on peut survivre, ça dépend du désir, de la capacité à s’organiser et d’arriver à dégager du temps devant soi tout en réussissant à payer ses factures et à envoyer chier le monde du travail et ses affidés (qui, eux, ne te lâchent jamais, par contre). Sinon, l’idée de jungle peut également s’apparenter à un monde où tout reste à défricher, où tout reste à faire, et c’est ça, je pense, le plus important. (Je parle de littérature, et de création, hein, pas d’économie, sinon on tombe dans l’escarcelle du libéralisme pur et sauvage et qui dégueulasse tout, relations humaines comprises.)

Si avoir été maçon peut aider par la suite à être un écrivain proche d’un certain réel, en quoi dans le futur penses-tu qu’avoir été un écrivain immergé dans l’imaginaire singulier qui caractérise tes textes pourrait bien t’aider ?

Si je peux me permettre, ta question est bizarrement foutue (mais ça y est, j’ai compris).

J’écrivais bien avant d’être maçon. J’écrivais avant un paquet de boulots d’ailleurs. Ça fait plus de vingt ans que j’écris, selon le support, la période, et évidemment les rencontres, qui stimulent. À part la connaissance d’un métier et d’un monde, être ouvrier en maçonnerie ne m’a jamais aidé à écrire, mais le fait que j’avais, en moi, cette connaissance d’une capacité à écrire m’a certainement permis de garder la tête hors de l’eau et d’arriver à conserver suffisamment de neurones pour la suite. Ceci dit maçon est un beau métier, mais j’ai juste glané un diplôme, le reste a principalement consisté en des années de manœuvre de longue durée et de trimard assermenté (dans ce cadre, avoir un diplôme était une façon de s’en sortir par le haut).

Pour la deuxième partie de ta question, j’ai du mal à concevoir que mon imaginaire singulier, un jour, puisse me permettre (de m’apporter autre chose que des emmerdes) de manger. Bref, pour résumer, en rien. L’imaginaire singulier, lui, vient sans doute de ma façon de concevoir la vie après avoir cherché à me trouver en me nourrissant de maints écrivains, et qui, par les mots, en faisaient quelque chose, eux, de la vie. À laquelle se sont rajoutées les expériences (et professionnelles, mais pas trop longtemps, pour ne pas étouffer le reste) de la vie proprement dite.


« Il y a toujours en moi cette fidélité à Henry Miller, dont je relis actuellement le Tropique du Capricorne, grand nourricier en chef. »

Et pour finir, une question désormais traditionnelle sur le site de l’Imprimerie, quels seraient ton ou tes derniers coups de cœur artistiques, toutes disciplines confondues ?

Une foultitude, mais je vais en mettre quelques-uns qui me viennent en tête.

J’ai toujours eu un goût prononcé pour la peinture, je ne sais pas pourquoi. Mais maillot-noir_sitej’aurais du mal à citer un peintre, en particulier. Ah si, peut-être, Yves Doaré, de Quimper. Cette monstruosité de chairs quasi-viande de boucherie et de corps entremêlés me fascine.

Vu le dernier Mad Max, que j’ai adoré (sauf le comédien incarnant le personnage et qui ressemble d’une façon troublante à une tranche de jambonneau, mais enfin bon – voir la critique de « Le cinéma est mort » (Canal B), sur le site de Vice, avec laquelle je suis complètement d’accord).

La revue Le Cafard Hérétique est assez chouette, ce sont des textes courts d’auteurs différents, ça sent son foutraque réjouissant qui transpire et c’est ce que j’aime, je crois.

Des écrivains comme Andy Vérol, devenu Leonel Houssam, par exemple, dont j’ai très récemment lu et apprécié Chronique de la mort au bout.

Il y a toujours en moi cette fidélité à Henry Miller, dont je relis actuellement le Tropique du Capricorne, grand nourricier en chef.

J’avais découvert Julien Gracq, à une époque, alors que j’étais en plein James Ellroy, j’en avais immensément voulu à la copine qui m’avait fait ce sale coup, puisque habitué au rythme implacable du grand timonier du noir en chef, j’ai peiné longtemps sur les 15 premières pages du « beau ténébreux ». Avant de comprendre soudainement ce que voulait dire littérature, et la musique personnelle qui va avec, je crois.

En fait, il faut se nourrir de tout.

Pour les plus proches, ou disons-le tout net, les confrères de Calibre 35 (voir recueil Maillot Noir, par exemple, aux éditions Goater), j’ai découvert l’univers de Nathalie Burel, dur, noir, extrêmement personnel et qui ne transige avec rien pour dire l’humain. J’ai toujours de l’admiration pour le style très ciselé de Claude Bathany, rajouté à un sens de l’observation particulièrement affuté et à une grande finesse dans le traitement des personnages. Les amis Taokao et Paulin, également (bon, oui, ok, c’est des copains, je sais). Le second pour l’incroyable justesse de ses personnages enchâssés (ou enchaînés) malencontreusement dans (et à) l’histoire, et Léonard, parce qu’il est semi-dingue (haha, non en fait ça n’est pas vrai, il est peut-être juste un peu trop lucide), et que ça fait plaisir à voir (lire).

Sinon, récemment, j’ai découvert les « collages » de Francis Blanchemanche, par l’intermédiaire de Facebook, et je les trouve vraiment très beaux, et très justes, dans leur étrange équilibre. Enfin on pourrait ajouter à cette liste les Éditions Lunatiques, qui font un super boulot, et notamment d’avoir pris en charge la revue littéraire Le Cafard Hérétique. Et également (pour la musique) le dernier CD de Republik (le groupe de Frank Darcel), Elements, qui est vraiment excellent…

Rachel, Lanester 76, roman court de Stéphane Grangier, Éditions La Gidouille, Yffiniac, ouvrage publié avec le concours de la Région Bretagne, mars 2015, 56 pages, 10 €.

2 comments

  1. fortune /

    L’imprimerie nocturne, les copains et les coquins ! Ou comment confondre chronique littéraire et publicité à peine voilée pour une maison d’édition à la dérive (eut-elle déjà poursuivi un quelconque cap)

    • Bonjour Fortune (et gloire ?) nous sommes ravis de voir que vous nous suivez ardemment ! En effet il se trouve que le off de l’Imprimerie Nocturne a donné lieu au livre Rade, bistrots et comptoirs aux éditions Goater, qui dérivent sûrement aussi bien qu’un commentaire anonyme sur la toile.
      Les rédacteurs sont ici libres de leurs choix, qui se veulent souvent locaux… mais pas que, ce que vous aurez sûrement remarqué en parcourant nos lignes !
      Un détail nous chiffonne cependant : vous commentez une interview et non une chronique littéraire, et la publicité a priori rapporte recette au monde merveilleux du journalisme. Dommage, nous sommes tous bénévoles et ne touchons aucun royalties de la part de ceux que nous chroniquons. En vous souhaitant de bonnes lectures et de bonnes sorties…

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