Only lovers left alive, Jim Jarmusch et les vampires

Only lovers left alive, une histoire couleur sépia filmée par Jarmusch. Un retour à l’écran… vampirique.

 Une musique lourde, pesante, prenante, posée et déchirante. Un homme, Adam. Une femme, Eve. Inutile de dire qu’ils forment un « vieux » couple – leur troisième mariage remonte au 23 juin 1868. Ce couple néanmoins moderne vit séparément. Lui à Detroit (Michigan), berceau de l’industrie automobile aujourd’hui exsangue et de la musique soul passée de mode. Elle à Tanger. Pour elle, une antique cité cosmopolite à la pointe du Rif occidental, entre océan Atlantique et mer Méditerranée ; pour lui, une ville économiquement ruinée aux quartiers résidentiels délabrés, idéale pour une retraite incognito. Jim Jarmusch a choisi des lieux à forte personnalité. On ne le lui reprochera pas.

Bellâtre ténébreux vaguement mélancolique (un peu comme Cheyenne, joué par Sean Penn, dans This must be the place, de Paolo Sorrentino), Adam collectionne les vieilles guitares (Grestch, Fender, etc.), les instruments anciens et les technologies de pointe plus ou moins déphasées ; Eve les livres quelle que soit la langue dans laquelle ils sont écrits (polyglotte, elle lit à la vitesse de l’éclair, un peu comme « Yoyo » Yoyonovich dans la série-culte « Holmes et Yoyo »).

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Ajoutant le mythe au mythe (si tant est que le couple biblique en soit un), Jim Jarmusch a fait de nos deux tourtereaux célébrissimes un duo de vampires. Donc, ils vivent la nuit. Ils boivent du sang O négatif acheté auprès de toubibs véreux ou ponctionné à même le corps des humains (que, par un curieux renversement de valeurs qui mériterait plus ample réflexion, ils appellent « zombies »). Ils ont un teint lunaire (surtout Eve, dont la veste en cuir blanc cassé crème fait ressortir le teint cireux) – carence en vitamine D ? Ils parlent latin couramment lorsqu’il s’agit de nommer les plantes, les essences d’arbres ou les bestioles errantes. Et ils parcourent les siècles. Se faufilant entre les époques dont ils connaissent, pour les avoir côtoyées, les figures de proue.

Quand on est quasi immortel (et qu’on ne craint que le pal ou le sang contaminé), il est plus facile de se détacher des contingences terrestres. On relativise sans mal les affres de l’existence. On s’éloigne des soucis du commun des mortels et on cultive sans peine un dandysme de bon aloi. Hormis le régime alimentaire, pour le moins draconien et qui entraîne une dépendance à l’hémoglobine pouvant mener aux pires extrémités (que sont par exemple le suçage jusqu’au dernier globule du premier quidam qui exhibe dans les parages les courbes appétissantes de sa carotide rebondie), le vampirisme offre légion de privilèges. Faudra-t-il y voir une parabole de la « réussite » dans nos sociétés libérales, où prospèrent ceux qui savent le mieux aspirer la moelle de leurs prochains ? Jim Jarmusch ferait-il l’apologie d’une posture philosophique qui serait une forme d’excroissance de la morale chrétienne commandant d’aimer son prochain, au sens propre, au point d’en savourer avec gourmandise et sans retenue le jus que ses artères convoient ? Nous laisserons à Jim Jarmusch l’entière responsabilité du modèle qu’il dépeint.

Only lovers left alive, un film romantique de Jim Jarmusch – Avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton – Musique de Jozef van Wissem – Durée : 2h03 – Sortie : 19 février 2014

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