Lettres aux jeunes poétesses : la poésie est un corps de combat

Il existe des livres qui agissent comme une respiration. Des livres à conserver sous les yeux ou à portée de mains pour une (re)lecture permanente. Des livres-soutien aux combats quotidiens. Des livres d’autrices promptes à tisser du bien commun. Des livres-politique remparts des pensées et châteaux forts des corps. Des livres de sœurs instigatrices de plume et de stylo. Des livres-inspiration dans les détonations de la parole pour ne pas crever dans le silence des non-dits. La directrice de l’association Littérature.etc Aurélie Olivier a initié l’un de ces livres féministes d’urgence poétique. Des lettres aux jeunes poétesses qui impliquent une réponse dans leur(s) veine(s). Des mots à la reconquête de soi.

 

Chèr·es poétesses

41Igmr9uDOL._SX319_BO1,204,203,200_Je vous écris de la dernière ligne de vos lettres. Pour certaines, je connaissais déjà votre rythmique de parleuses. Littérature etc. Pour d’autres, je vous ai lues pour la première fois. VOUS TOUTES. Revendicatives. Réactives. Radicales. Je vous ai entendues. Modernes. Inventives. Passeuses. Lire et entendre autrement. Subvertir la norme. Explorer la forme. Rompre avec l’assignation. Disrupter le genre. Libérer la parole. Seule la parole compte. La parole vivante. La parole sublimatoire. La parole encrée. Scandée. Projetée. L’amplitude, l’énergie, l’élégie, la tension, la tessiture de la parole. Qui raconte l’histoire de vos écritures. De nos lectures. De notre commun de femmes. La parole aux mots.

Joyce m’a prévenue : le sexe ressemble à la guerre. Dans ces récifs, j’ai appris que nos corps périssables sont galvanisés par le vie poétique. Rien ne fatigue jamais quand on jouit d’écrire. Milady Renoir

Je vous écris de la dernière page de vos lettres. Correspondance à vingt-et-une voix. Qui défriche de nouvelles voies. Qui clament des désirs inassignables. Qui imposent des besoins impérieux. Musiciennes, metteuses en scène, performeuses, traducteurices, auteurices et surtout poétesses (voire poétasses avec allégresse), vous exigez  le droit de vous scinder en collectif sans identité émergente, le droit de balayer le passé, le droit de dénoncer la misogynie du monde de l’édition, le droit de détourner les codes sociaux. Non seulement le droit mais la nécessité de mettre le feu aux idéologies étriquées. De brûler le conservatisme hétéropatriarcal ou la domination racisée systémique. Le droit aux flammes des poétesses guerrillères. Des premiers brasiers de Kathy Acker, Grisélidis Real, Audre Lorde, Mririda N’Ait Attik, Maya Angelou aux incendies de Milady Renoir, Rim Battal, Marina Skalova, Lisette Lombe, le collectif RER Q etc. VOUS TOUTES. Des étincelles.

Parle de tes sœurs, dis-leur nom : C’est aussi le tien. Sors de toi-même. Tu suffoqueras mais tu renaîtras, de beaux poèmes plein les poches. T’inquiète. Ce qui tue ce n’est pas la poésie, ni les émotions, ni l’expérience. Ce qui tue, c’est l’inaction. Les blagues sexistes et les mains au cul, au sens propre comme au figuré. Aiguise tes dents et décoche. Jem3i Rassek. Own your desire. Rim Battal

Je vous écris des mots refermés de vos lettres mais certainement pas enfermés, votre engagement féministe qui ruissèle dans la tête et sur la langue. Des mots cerfs-volants dans les yeux comme des milliers de ficelles auxquelles se suspendre, nous surprendre. Une puissante envie de sentir encore dans les synapses votre souffle sorcière, gouine, mère, célibataire, ardente, amoureuse, décatie. AUTRICE qui refuse les assignations. Le grondement radical de la sororité. Le tonnerre d’un lien non pas universel mais qui déclenche. Qui active. Qui réactive. Jouir de vos éclats. Se réjouir de vos lettres. De la jouissance de la liberté poétique. Dans un monde de feu ou de cendres. Faire jaillir le vivant. Un dating avec des sœurs de papier. VOUS TOUTES. Le regard conjugué au présent. Dans le silence de nos êtres. La solitude est un poème écrit.

Nos textes sont des corps. Les autrices ont les entrailles, les muscles, les nerfs en partage. Elles les mettent en commun et parfois en pâture. C’est pour cela qu’il est si important que ton corps ne soit jamais nié dans ton écriture. Écris tes viols tes avortements tes accouchements si tu en éprouve le besoin. Marina Skalova.

Je vous écris de la dernière injonction de vos lettres : tiens bon, ne mollis pas ! Tenir, tenir, tenir. Ne pas faiblir. Jaillir. Éblouir. Grâce à l’éclat foudroyant de vos mots. Et ceux que d’autres rédigeront dans vos pas tant vos correspondances ouvrent des espaces à construire. Vos lettres invitent. Vos lettres incitent. Vos lettres légitiment. Ne pas mollir, s’étioler, s’anémier. Rugir de désir, de colère, de rage, de plaisir, de douleur. Ôter les cagoules imposées. Enlever les échardes dans les yeux. Poétiser dans le désert. Sur les quais de bord de mer. Sous les barres d’immeubles. Sur les parvis des métropoles. Exploser le béton de la langue. Seule la parole compte. Ce qu’on s’autorise. Ne pas se sous-estimer. Divulguer. Rétorquer. Résister. Nommer. Rassembler. Semer. Aimer. Au royaume de la prosodie, le verbe est vulve. NOUS TOUTES. Écrire. Écrire. Écrire. Aux mots poétesses… la poésie est un corps de combat !

Florilège

Tu ne posséderas que ton œuvre c’est pour cela que personne ne devrait l’abimer. Chloé Delaume

Le poème régénère notre regard sur les choses. Sonia Chambretto.

N’écris jamais rien de léger, même tes blagues doivent faire frémir. Rébecca Chaillon.

Il faut mordre à son tour pour réveiller ses sœurs. « Brûler le tribunal » Rim Battal.

La langue n’est pas sexuée. Ces dames sont priées de ne pas mettre leur utérus sur la table. Liliane Giraudon.

La poésie est un territoire indépendant. Ryoko Sekiguchi.

La lettre est sans issue. Il n’y a pas de correspondance. Nathalie Quintane.

À toi, ardente ou oscillante : Méfie-toi de dormir. Milady Renoir.

Lorsque j’écris. Je crois bien que je hurle. Mais ça je ne le dis pas. Je le passe sous silence. Sophie G Lucas.

En écrivant, tu crèveras les silences qu’on t’aura enfilés comme des cagoules. Marina Skalova.

Ce n’est pas simple de se faire entendre mais plus on est nombreuses, plus on fait de bruit et plus les vieux murs tremblent. Lisette Lombé.

Admets sans jugement que ta langue prenne appui sur des phrasés difformes, féroces ou disloquées. Édith Azam.

Je veux seulement sentir un mot sur ma paume. Ouanessa Younsi.

La vie est le laboratoire à flux tendu de l’écriture. Sandra Moussempès.

Écrire au féminin vaut mieux que le neutre. Sois radicale pour être entendue. Collectif RER Q

Lettres aux jeunes poétesses. Correspondance poétique – Collection des Ecrits pour la parole – L’Arche éditeur – Paru le 20 août 2021 – 137 pages – 15 €.

Envie de réagir ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>