Un pays qui se tient sage, film de David Dufresne retentissant qui montre bien où est le problème.

Entrecoupé de propos d’avocats comme Maître Arié Alimi, d’historiens, de victimes comme Gwendal Leroy (éborgné le 19 janvier 2019, à Rennes, lors de l’Acte X du mouvement des Gilets jaunes), ce documentaire édifiant étayé de vidéos prises par des quidams ou des journalistes engagés tels Taha Bouhafs, pose avec acuité la question de l’usage de la force contre le peuple – usage commandité par des gouvernements qui, pour faire régner l’ordre et maintenir leur suprématie remise en question, sapent les fondements de la concorde et du consentement populaire à suivre les lois nationales ; car à chaque fois qu’un lycéen, forcé de s’agenouiller des heures durant (cf. l’arrestation de 153 lycéens, jeudi 6 décembre 2018, à Mantes-la-Jolie dans les Yvelines, filmée par un policier sarcastique*), est humilié, à chaque fois qu’un militant des droits civiques est molesté, à chaque fois qu’un manifestant exigeant un peu plus de considération est mutilé, matraqué, gazé ou emprisonné, c’est le pacte social qui est mis à mal. Combien de temps un pays où la colère est attisée régulièrement par la promulgation de lois antisociales peut-il se tenir « sage » ? Là résident l’enjeu du pari risqué tenté par les réformateurs macroniens en charge du désossement accéléré des services publics, ainsi que le cœur du problème soulevé par Un pays qui se tient sage. Les violences policières, soigneusement documentées, indéniables, montrent la voie choisie par la Macronie, d’une part, et les réticences de la population à suivre cette voie, d’autre part. Et plus cette tension s’accroît, plus on subodore que la crise politique et sociale qui enfièvre le pays des droits de l’Homme est tout, sauf résolu.

Les analyses de l’universitaire ethnologue Romain Huët, auteur du Vertige de l’émeute (PUF, 2019), soulignent clairement, preuves en images ici à l’appui, que, contrairement à ce que rabâchent éditorialistes et politiques consanguins, l’ultraviolence n’habite pas l’âme des Gilets jaunes. Les rituels de la confrontation entre les manifestants et les forces de l’ordre, soigneusement étudiés par le sociologue Fabien Jobard, montrent la retenue, dans la colère, dont font preuve les Gilets jaunes. La sévère répression qui leur est infligée (matraquages, gaz, tirs de LBD en pleine tête, humiliations…) n’en apparaît que plus cruelle et illégitime.

Combien de temps encore le « pays se tiendra sage » sous les coups d’une police (dont même les représentants syndicaux les plus ultra-droitiers, face aux images, ont du mal à justifier la légitimité des pratiques clairement abusives dont il est question) au service d’un État de moins en moins populaire auprès de strates de la population de plus en plus consistantes et remontées ? Quelles pierres le peuple, dans son insondable sagesse, saura-t-il apporter au débat en cours ?

* Cette séquence de châtiment collectif donne son titre à ce documentaire magistral de D. Dufresne.

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