Sorry we missed you, de Ken Loach : une Angleterre en PLS.
Bosseur, tatoué, Ricky Turner (Kris Hitchen) vit avec Abby (Debbie Honeywood), bosseuse, dévouée. Ricky a fait plein de petits boulots manuels, souvent dans le bâtiment, sans jamais chômer – prendre du repos ne fait pas partie de ses valeurs, ni de ses possibilités, puisque lorsqu’il en émet le souhait, on le lui refuse. Il rêve de passer la vitesse supérieure, car il a un projet avec sa compagne : devenir propriétaire. Pour ce faire, Abby se démène dans le soin à la personne, avec abnégation, gentillesse et bonté et Ricky a un plan : devenir livreur indépendant franchisé. C’est ainsi que le cauchemar de l’uberisation commence pour cette famille modeste. Ricky, qui bientôt n’aura plus le temps de faire une pause-pipi digne de ce nom, devient le prolongement de la scannette qui l’accompagne sur tous ses trajets et « grâce » à laquelle les colis convoyés par ses soins sont localisables en temps réel par le client et par la structure expéditrice. L’émancipation promise, entrevue – mais sans cesse repoussée – devient source première d’aliénation, de désillusion, de temps perdu, de tension, de fatigue et de stress permanent. « La vie sociale perd ainsi son sens ; les personnes se voyant réduites à des individus libres (sans liens) et contraints à vendre leur force de travail comme une vulgaire marchandise et finissant par entrer en concurrence les uns contre les autres », synthétise Floréal M. Romero (in Agir ici et maintenant – Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin, éditions du commun, Rennes, 2019, 280 p., 16 €, p. 43).
Abby (Debbie Honeywood) soigne son karma et quelques ancien·nes plus ou moins bien-portants.
Ken Loach dénonce les aspects les plus sombres d’une Angleterre peuplée de travailleurs exploités, précaires et vaillants, dominés par des cadences à respecter sous peine d’amendes, de déconsidération et de pénalités, pressurés par des donneurs d’ordres aux exigences incompatibles avec les besoins en bien-être propres à chacun·e. Système de santé où les attentes sont excessivement longues et pénibles, organisation du travail où règne la loi du chacun pour soi, surconsommation à (presque) tous les étages, routes encombrées, Ken Loach en sonneur d’alerte, ausculte une société au bord de l’implosion, besogneuse, surendettée, qui tire le diable par la queue, où les seuls espoirs reposent vraisemblablement sur la génération qui vient, incarnée ici par les enfants Seb (Rhys Stone) et Liza Jane (Katie Proctor), lesquels, avec un peu de bonne fortune (et des lois moins inégalitaires et moins oppressantes rapidement mises en place) sauront éviter les pièges dans lesquels leurs ascendants n’auront eu de cesse, bon gré mal gré, de se vautrer.
Sorry we missed you – Drame réaliste anglais de Ken Loach – Avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone, Katie Proctor… – Sorti le 23 octobre 2019 – Durée : 1 h 40.