Alice et le maire, de Nicolas Pariser

Alice et le maire, de Nicolas Pariser : le classicisme du cinéma à la française dans ce qu’il a de meilleur et de plus pertinent.

 

Alice et le maire entre dans la catégorie très sélect des films à haute teneur politique. Paul Théraneau (Fabrice Luchini), le maire de Lyon*, dans cette fiction tout sauf barbante, requiert les services d’Alice (Anaïs Demoustier), jeune diplômée douée, charmante, effrontée, issue non pas du sérail de la com’, du marketing ou de la finance, mais de celui des belles lettres et de la philosophie, discipline qu’elle a eu l’occasion d’enseigner à l’étranger – ce qui lui assure la possibilité de développer un esprit critique, des idées pertinentes, de bonnes analyses et de l’aisance, pour prendre du recul. De fait, la tâche qui lui revient et où elle excelle (au risque de déplaire à ses collègues aux méthodes et aux modes de pensée plus conventionnels) consiste en effet à soutenir le maire dans sa recherche d’idées nouvelles – le maire étant un peu à sec en la matière après une longue carrière où il a beaucoup donné, sans se ménager.

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On découvre alors les coulisses d’une mairie, les arcanes de la politique locale d’une grande ville, imbibée d’un ennui technocratique – « pas très lyrique » dira Alice. Si toute la première partie d’Alice et le maire illustre donc cette façon un peu vieillotte de considérer le monde politique – polarisé entre la droite et la gauche et pour tout dire un peu sclérosée en dépit des efforts des communicants pour rendre la chose plus sexy –, la seconde partie expose des points de vue plus mordants. Ainsi surgit, pour la première fois à ma connaissance au cinéma, le thème de l’effondrement, via Delphine (la femme artiste un peu anxieuse et obsédée par le collapse qui vient) de Gauthier (Maud Wyler et Alexandre Steiger, qu’on avait l’un comme l’autre beaucoup appréciés dans Perdrix d’Erwan Le Duc), l’ex-meilleur ami lyonnais d’Alice. On entre ainsi de plain-pied dans le monde contemporain et ses affres. Des causes à ces problèmes (dont l’aboutissement serait la fin de l’espèce humaine en général et la ruine de Lyon en particulier) sont mêmes désignées (les banquiers) dans un discours qui pourrait faire de Paul un présidentiable de bon aloi. C’est dire si Alice et le maire offre un regard aussi acerbe que juste sur notre société. Mais à la différence de François Hollande qui fit à peu près le même diagnostic (cf. le discours du Bourget prononcé le 22 janvier 2012 grâce auquel il fut élu et porta tous les espoirs de la gauche, rapidement brisés sur les écueils du libéralisme d’extrême-centre), Paul Théraneau quant à lui restera, au final, au stade de la velléité, passant à côté d’un destin historique d’homme d’État, « préférant ne pas »** s’y risquer. Alice et le maire devient dès lors une ode à l’impuissance, à la modestie, à la mise en retrait – valeurs si peu prisées par celles et ceux qui se vouent aux carrières politiques.

Voilà, vous savez tout, ou presque, maintenant, sur ce film, Alice et le maire, qui donnera sans doute à certain·e·s l’envie de se lancer dans la politique, où tout n’est pas pourri, loin s’en faut, mais où, force est de le constater, ça manque cruellement d’idées neuves suivies d’actes et de faits – sûrement parce que les grands changements s’opèrent dans la durée, dans la somme et la multiplication des quotidiens répétés de tout un chacun, et que ces quotidiens, qu’ils soient très confortables ou pas du tout, semblent fondamentalement conçus pour qu’on s’y fasse.

* Il s’agit ici de Lyon mais n’importe quelle autre mégalopole (Nantes, Lille, Montpellier, Marseille, Rennes…) souhaitant se démarquer dans la compétition mondialisée des pôles d’attractivité et accéder à un statut international privilégié (alors que ces villes, qui se veulent « grandes » et attirantes, peinent à offrir des sanitaires propres à quelques poignées de réfugié·e·s) aurait pu faire l’affaire.

** Alice, en fine lettrée, offre à Paul Les Rêveries du promeneur solitaire de J.-J. Rousseau, puis Bartleby d’Herman Melville (1856), où il est question d’un clerc de notaire qui refuse les travaux que ce dernier lui confie, avec cette astucieuse formule « I would prefer not to » (je préfèrerais ne pas…), Bartleby devenant l’archétype de celui qui fuit le travail, la fuite s’imposant « non plus comme une simple défection mais comme une nouvelle stratégie de lutte » (cf. Wikipédia).

Alice et le maire – Comédie dramatique française de Nicolas Pariser - Avec Fabrice Luchini, Anaïs Demoustier, Maud Wyler, Alexandre Steiger, Antoine Reinartz, Nora Hamzawi, etc. – Durée : 1 h 43 – Sortie le 2 octobre 2019 – Prix du Label Europa Cinema à la Quinzaine des Réalisateurs 2019.

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