Fragmenter le monde – Contribution à la commune en cours, de Josep Rafanell i Orra : un essai contre l’inertie.
Notre société est malade. On le sait tous. De nombreux indicateurs clignotent. « L’usage du mot écocide concernant toutes sortes d’êtres, et bientôt les humains, ne tardera pas à prendre de l’ampleur. » (page 38) Et tous les Demain du monde n’y changeront peut-être pas grand-chose. Essayant quand même avec l’infime certitude que tout n’est pas encore perdu, quelques intellectuels appellent à des changements. Échafaudent des plans. Échangent et sèment des idées.
Pour lutter contre les totalitarismes, il est utile de concevoir de nouveaux concepts, d’élaborer de nouvelles attitudes, d’avoir une vision des mouvements possibles qui enrichiront le bien commun. De façon trop souvent sibylline, Josep Rafanell i Orra s’y emploie. La préface de Moses Dobruška fait d’ailleurs référence à Maintenant du Comité invisible, lequel Comité ne craint pas non plus à l’occasion les réflexions, peut-être hermétiques, du moins indomptées par les polices habituelles de la pensée unique. Mais, au-delà de ces lourdeurs précautionneuses, de ces emphases théoriques, pour ne pas dire ce pédant charabia (« L’oxymore classe de la multiplicité me sert à dire ceci : le “deux” de la division politique c’est le n-1 de la pluralité des formes de vie contre le Un de l’ennemi » – page 48), on comprendra l’importance quoi qu’il en soit de penser et de vouloir une, voire des myriades d’oppositions à l’ultra-libéralisme et son monde parfois ignoble. Surtout en ces temps où des syndicalistes militant contre la loi Travail sont traînés devant des tribunaux pour des raisons soi-disant d’État d’une mauvaise foi évidente, où l’on cherche à étouffer toute forme de contestation, où priment le profit de quelques-uns et le grégarisme de certains – au détriment de tous.
« Le contraste n’en est que plus saisissant aujourd’hui entre le nomadisme banalisé des consommateurs de marchandises et l’immobilité des centres de rétention pour clandestins (…) camp[s] de concentration pour étrangers pauvres. » (page 40)
En ce sens, Fragmenter le monde contribue à déployer des idées qui vont à rebrousse-poil de la doxa dominante qui vise au toujours plus grand, global, totalisant. Pour au contraire reprendre corps et possession de nos actes dans des cadres non-prescrits. « Il n’est plus question de sujets séparés d’eux-mêmes et de leurs objets, mais de techniques, de formes opératoires portant sur des agencements par lesquels l’expérience peut redevenir une expérimentation commune. » (page 72)
On souhaite également que les agents de la DGSI (issue de la fusion fumeuse de la DST et des RG) prennent bien du plaisir, intellectuellement parlant, à tenter de décrypter ce genre d’essai aux paragraphes imbitables, que traverse néanmoins le désir de renouer des liens réels, autonomes, avec des horizons imprévus. De poser des actes ingouvernables.
Fragmenter le monde – Contribution à la commune en cours – Essai (opaque mais stimulant comme l’apprentissage d’une langue inconnue) de Josep Rafanell i Orra – Préface de Moses Dobruška – Éditions Divergences – Collection « Pensées radicales », Paris, 2017, 8 €.