Libres d’obéir – Le management du nazisme à aujourd’hui, de Johann Chapoutot

Libres d’obéir – Le management du nazisme à aujourd’hui, de Johann Chapoutot : un essai stimulant sur les fabriques perverses du consentement.

 

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En retraçant le parcours du juriste allemand Reinhard Höhn (1904-2000), l’historien Johann Chapoutot dans cet essai érudit décrit comment les idéologies nazie (fondée sur le racisme, l’eugénisme et l’exploitation sans vergogne des ressources humaines au service d’un projet prédateur) et néolibérale (reposant sur un ordre établi au sein duquel le bien-être des populations est sacrifié sur l’autel du profit) partagent les mêmes défaillances éthiques, la même toxicité. Le IIIᵉ Reich, démontre Y. Chapoutot, a cherché à unifier sa population autour de l’idée de pureté raciale ; chacun·e se devant de se dévouer sans limite au projet industriel, militaire et identitaire promu par le Führer. Tout est fait pour obtenir l’assentiment de la population. Un nouveau paradigme est élaboré. Le peuple allemand fusionne, dans la sueur et dans la joie, dans le labeur et la liberté de s’y adonner. Il s’agit d’atteindre les objectifs fixés par le Führer. Toute idée de lutte des classes est abolie. Les oppositions syndicales et politiques sont annihilées, de même que les minorités stigmatisées exterminées.

Docteur en droit, pédagogue, antisémite, proche dans les années 30 de Reinhard Heydrich (1904-1942) ou de Heinrich Himmler (1900-1945), Reinhard Höhn à la fin de la guerre a atteint le grade de SS-Oberführer. Auparavant, il aura été l’un des artisans intellectuels et universitaires théorisant cette unité du peuple appelé à s’étendre (militairement) et à s’emparer des ressources des nations limitrophes pour garantir au peuple aryen un espace vital conséquent.

Après-guerre, il n’est guère ennuyé.

« En 1966-1967, une série de 21 articles consacrés à la SS par Der Spiegel cite Höhn sept fois. En cette même année 1966, le professeur-manager est inquiété par le parquet spécial de Ludwigsburg chargé de la traque et de l’inculpation des criminels de guerre nazis. Höhn est soupçonné d’avoir participé en tant que chef de département (Amtschef) du SD* à une réunion tenue à Berlin le 11 septembre 1939 qui évoquait l’assassinat de 60 000 membres des élites polonaises. Höhn se défendit énergiquement. Faute de preuves, le parquet social dut renoncer à des poursuites auprès quelques auditions. » (page 120)

Il poursuit ses travaux de recherches, de publications et d’enseignement, formant les cadres conquérants de la RFA, avec toujours chevillée au corps l’idée que les exécutants n’ont pas à se soucier de définir les objectifs (privilège qui revient aux élites, à défaut de revenir au Führer), mais seulement de la façon dont ces objectifs seront atteints.

La finalité de ces enseignements, prodigués à l’institut de formation au management de Bad Harzburg, reste ainsi de créer des chaînes hiérarchiques où, loin de rechercher l’émancipation des citoyen·nes, chacun·e sera juste libre d’obéir.

* SD : « der Sicherheitsdienst des Reichsführers SS » (en français : « le service de la sécurité du Reichsführer-SS »).

Libres d’obéir – Le management du nazisme à aujourd’hui, essai de Johann Chapoutot, éditions Galllimard, coll. « NRF », Paris, 2020, 176 p., 16 €.

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