Je vous quitte plein d’espoir – Jean Courcier et Guy Faisant, résistants et déportés

Je vous quitte plein d’espoir – Jean Courcier et Guy Faisant, résistants et déportés : parcours et témoignages poignants de jeunes combattants émérites, recueillis par Loez.

« Pour souhaiter faire advenir un autre monde et tenir la ligne dans un rapport de force souvent inégal, il faut être convaincu jusque dans sa chair du bien-fondé de son combat. Il faut parvenir à quitter le confort des habitudes pour un monde d’incertitudes. Mais lutter contre un système, c’est aussi apprendre la force de la camaraderie, qui vous maintient debout, malgré les coups de l’adversaire. » (page 2)

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À partir d’entretiens réalisés en 2007 – entre la mobilisation sociale (victorieuse) contre le Contrat première embauche (CPE) et les manifestations contre les mesures ultralibérales et sécuritaires de Nicolas Sarkozy de 2008 –, le journaliste et photographe Loez travaillant notamment pour la revue Ballast retrace des tranches de vie de deux jeunes hommes qui ont connu la Résistance, la déportation en Allemagne et la Libération. Avec les témoignages vibrants de Jean Courcier (ci-contre : son uniforme à rayures de déporté, portant un triangle rouge sur la poitrine l’identifiant comme communiste et une cible rouge cousue dans le dos le signalant comme forte tête) et de Guy Faisant, on replonge dans un passé sacrément éprouvant, on entre de plain-pied dans l’Histoire.

Jean Courcier (1922-2020) travaille à la SNCF lorsque les Allemands entrent dans Rennes le 18 juin 1940. Militant aux Jeunesses communistes et proche des républicains espagnols parqués au camp de Verdun, à Saint-Jacques-de-la-Lande, il rejoint quelques mois plus tard la Résistance, distribue tracts et journaux communistes, imprime La Relève rennaise, multiplie les petits actes de sabotages : « On mettait de la potée d’émeri dans les essieux » (p. 7).

Arrêté le 4 août 1941 par la police de Pétain, jugé par le Service de police anticommuniste (Spac) chargé de traquer les communistes (considérés comme des « traîtres à la patrie » depuis le pacte germano-soviétique de 1939), Jean Courcier est emprisonné au Mans, puis à Poissy, puis à Melun, puis à Fontainebleau, puis rue des Saussaies, puis à Compiègne, puis, transporté à bord de wagons à bestiaux jusqu’au camp de Mauthasen en Autriche où les conditions de travail forcé sont épouvantables, notamment pour les prisonniers de guerre russes (3 millions d’entre eux périront dans les camps nazis), sans parler des juifs, « dans la merde jusqu’à la taille, femmes et enfants aussi, à nettoyer les fosses d’aisance avec des seaux » (p. 16). Durant cet interminable périple, Jean Courcier échappe de peu au sort funeste réservés aux otages communistes (fusillés ou guillotinés), manque de finir dans les chambres à gaz mais survit par miracle aux brimades incessantes. Il pèse 34 kilos lorsqu’il revient en France, marqué à jamais par l’indicible horreur et de fait restera toujours dans la lutte contre les oppressions pour ainsi dire jusqu’à son dernier souffle.

Guy Faisant (1925-2019) aussi a vécu une existence remarquable par sa combativité.

« La grande majorité de la population était dans l’expectative : elle était pétainiste. Pétain était encore auréolé de son aura de soi-disant vainqueur de Verdun. Il y avait peu de réels collaborateurs et peu de résistants. La Résistance était mal vue, d’ailleurs on parlait de “terroristes” à l’époque. Le gouvernement de Vichy a été la honte de la France, le seul pays à avoir autant collaboré de plein gré avec l’occupant. Tout l’appareil gouvernemental, la police, collaborait. » (p. 22)

jevousquitteParce qu’il participe à un petit trafic d’armes – celles « saisies aux Rennais lors de l’arrivée des Allemands (…) entreposées dans un grand entrepôt, sans surveillance » (p. 24) –, Guy Faisant se fait arrêter une première fois en novembre 41 par le service de sécurité de l’armée allemande, le Sicherheitsdienst (le SD), puis de nouveau en mars 42. À chaque fois dénoncé. Si le SD ne met la main que sur une balle de 6,35 mm la première fois, la seconde, une cache d’armes est découverte dans le jardin de Guy Faisant. Celui-ci est d’abord incarcéré à la prison Jacques Cartier, à Rennes, puis à la lugubre prison du Cherche-Midi à Paris infestée de punaises et où les exécutions de prisonniers, à l’aube, sont courantes. En juin 42, il est déporté jusqu’au camp SS de Hinzert en Allemagne.

Il est ensuite transféré à Breslau, où il est jugé et condamné aux travaux forcés, qu’il effectue à la prison-atelier de Schweidnitz, où ses compétences d’apprenti-tourneur l’ont conduit. Puis, les Russes approchant, les prisonniers sont transférés, à pied, dans la montagne, jusqu’à Hirschberg.

« Il faisait tellement froid que le vin des soldats gelait dans leurs gourdes. Notre quignon de pain était glacé et immangeable. C’était horrible. Pourtant j’ai passé une nuit formidable. Nous aidions un jeune Russe, blessé aux jambes, à marcher. Il avait une capote fourrée. J’ai pu dormir avec lui. Tous les deux roulés dans sa capote, j’ai senti la chaleur de cet individu à côté de moi. Je m’en rappelle encore. Le lendemain ils l’ont emmené, je ne sais pas ce qu’il est devenu. J’espère qu’ils ne l’ont pas tué. » (p. 33)

Livrés à eux-mêmes une fois les SS mis en déroute, Guy Faisant (pesant alors moins de 40 kilos) et 3 autres prisonniers se font la belle. Il va mettre plusieurs semaines avant de rejoindre la France et de retrouver une vie normale qui sera en partie consacrée au syndicalisme et au devoir de mémoire.

Au XXIᵉ siècle, ces expériences de combats antifascistes demeurent indispensables. Racisme, capitalisme débridé et ultralibéralisme, creusant les inégalités sociales et les ségrégations, continuent d’alimenter la bête immonde – et donc, subséquemment, de nécessiter une résistance active pour, un jour, espérer la terrasser.

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