Tea-Bag, d’Henning Mankell : portraits d’un poète et de femmes errantes, victimes de migrations forcées, qui sont néanmoins loin d’avoir abandonné toute ambition.
Avec un humour qu’on lui méconnaissait, Henning Mankell (1948-2015), qu’on connaissait pour les enquêtes de son personnage fétiche l’inspecteur scandinave Kurt Wallander, raconte ici les déboires d’un poète à succès suédois, Jesper Humlin – dont bien sûr, puisqu’il s’agit de poésie, le succès est limité, si limité que son éditeur habituel lui conseille (lui ordonne) d’écrire plutôt des polars afin de décupler les tirages et satisfaire ainsi les actionnaires. Tiraillé entre une compagne sur les nerfs qui veut impérativement devenir mère, une mère noctambule excentrique un brin tyrannique, un éditeur machiavélique, un conseiller financier véreux, Jesper Humlin ne sait plus où donner de la tête. Sur sa route, à l’occasion d’une lecture organisée dans un centre culturel, Jesper Humlin va rencontrer des jeunes femmes, débrouillardes et traumatisées, qui vivent clandestinement en Suède. L’une d’elles, souriante et furtive jeune femme venue d’Afrique surnommée Tea-Bag, a bravé mille dangers, traversant la Méditerranée à bord d’un rafiot bourré à craquer, frôlant de peu une tragique noyade, puis a parcouru l’Europe du sud au nord. Une autre a fui un réseau de proxénètes où elle avait été piégée et a traversé la mer Baltique à la rame… Ces jeunes femmes aux parcours douloureux, inscrites aux ateliers d’écriture qu’il anime, vont lui mettre du plomb dans la cervelle, l’aidant ainsi à surmonter ses propres difficultés existentielles.
À travers les tribulations d’un poète pittoresque un peu pathétique, Henning Mankell dépeignant son époque et ses sombres gouffres, nous offre là un récit empreint de douleurs, de cocasserie et d’humanité. En Suède aussi, les frontières et l’accueil des réfugié·es posent problème – et ce problème, heureusement, ne demeurerait pas longtemps insoluble, si on arrivait à en faire preuve collectivement, justement, d’humanité.
Tea-Bag, roman d’Henning Mankell, 2001, Éditions du Seuil, 2007, traduit du suédois par Anna Gibson, collection « Points », 352 pages, 7 €.