L’inspecteur Sadorski libère Paris, de Romain Slocombe

Romain Slocombe, L’inspecteur Sadorski libère Paris : un roman noir avec un héros aussi sombre que sinistre, sur une période historique nimbée de nuit et de brouillard.

533x800_Slocombe_ParisS’appuyant sur une solide documentation – journaux de l’époque, dossiers des archives de la préfecture de police, journaux intimes rédigés durant l’occupation, recherches d’historiens sur la collaboration, etc. –, Romain Slocombe nous fait revivre (les risques de balles perdues en moins) ces semaines trépidantes caniculaires et orageuses qui annoncent la déroute des armées allemandes et la libération de Paris, après 4 années de restrictions cruelles, d’humiliations, de marché noir, de traque des opposants présumés gaullistes, communistes, juifs ou francs-maçons…

Ces événements sont vécus via le prisme particulier de l’inspecteur principal adjoint Léon Sadorski qui dirige le Rayon juif de la 3ᵉ section de la direction générale des Renseignements généraux et des Jeux. Autant dire que ce personnage, capable de mentir, de trahir, de violer, de racketter, de traquer, de tuer, de menacer, de faire chanter, de collaborer avec les nazis et de fumer 3 paquets de Gauloise par jour – qui était déjà au cœur de La trilogie des collabos*, est un sacré salopard. Nombreux·ses sont celles et ceux qui lui doivent un aller sans retour vers Pitchipoï, via le camp de Drancy ou la rue des Saussaies – où la Gestapo avait l’un de ses multiples pieds-à-terre quadrillant la capitale.

Tout le talent de l’auteur est convoqué pour que les lecteurs·trices s’attachent néanmoins à cette crapule épaisse dépourvue de tout scrupule, que les événements parfois malmènent et placent dans de sales draps, voire dans une baignoire d’eau glacée où flottent des étrons. Car à fricoter avec les diables et à épouser des idéologies mortifères, il arrive qu’on se trouve soi-même mal embarqué.

L’Ipa Sadorski sent cependant le vent tourner. Il aimerait bien, comme beaucoup de Fançais·es s’étant montré·es excessivement complaisant·es avec l’occupant venu d’outre-Rhin, retourner sa veste, tandis que s’approchent les alliés par centaines de milliers, les volontaires espagnols et les colonnes de chars des généraux de Gaulle (1890-1970) ou Leclerc (1902-1947).

« Jusqu’ici il n’était qu’un salaud somme toute ordinaire. Lequel du reste ne se considérait pas comme un salaud mais comme un bon flic, avec une éthique bien à lui, disons un peu spéciale mais dont l’objectif premier était de faire régner l’ordre public, et la justice – ce qui inclut châtier, par initiative personnelle s’il le faut, les assassins et autres ordures. Il est un flic de métier et de vocation. Un serviteur efficace de l’État français. À présent, il ne sait plus. Le caïd du Rayon juif est tenté de se surpasser dans la saloperie. De faire désormais consciemment le mal. Plus seulement ses manigances embrouillées et perverses, ou les petits exercices cruels auxquels il se livrait de temps en temps histoire de rire. Mais la cruauté réelle. Le mal authentique. Le mal pour le mal. Il y trouve un supplément d’énergie, cela aide sa carcasse douloureuse à tout surmonter. » (pages 518-519)

Nous faisant traverser des épisodes d’une noirceur proche de l’insupportable – exécutions sommaires de Georges Mandel (1885-1944) ou de Victor et Hélène Basch (1863-1944), scènes de crimes crapuleux, répression sanglante dans la maison d’arrêt de la Santé, tortures sadiques pratiquées par des truands en maille avec la Gestapo et avec les milices de Joseph Darnand (1897-1945), qui sera fusillé à la Libération et de Jacques Doriot (1898-1945), leader du PPF (Parti populaire français) et créateur de la LVF (Légion de volontaires français contre le bolchevisme), qui sera tué quant à lui lors de sa fuite en Allemagne –, Romain Slocombe, en expert incontestable de cette période, dépeint ces temps bouleversants, où la vie des un·es et des autres était en sursis, suspendue au hasard d’un bombardement, d’une convocation pour le STO ou d’une dénonciation. Et où la joie fut immense, incontrôlable, lorsque sonna l’heure de la défaite pour les armées du IIIᵉ Reich hachées menues par les contre-offensives menées à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud.

C’est donc là à un roman captivant, instructif, ultra-documenté et absolument galvanisant que nous avons affaire – dans le sens où, après avoir lu certaines pages cauchemardesques, on n’aura plus qu’une envie : tordre le cou à la bête immonde.

* La colossale Trilogie des collabos de Romain Slocombe parue chez Robert Laffont comprend L’affaire Léon Sadorski (2016), L’Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski (2017) et Sadorski et l’ange du péché (2018).

Romain Slocombe, L’inspecteur Sadorski libère Paris, Éd. Robert Laffont, Paris, collection « Points », 2021, 720 p., 9,90 €.

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