Mon Ishmaël, de Daniel Quinn

Mon Ishmaël : un essai inspirant de Daniel Quinn qui séduira l’adolescent·e révolutionnaire qui sommeille en chacun·e.

533x800_Mon-IshmaelUne histoire dont le héros est un gorille télépathe, avouez que ce n’est pas banal. Quand, en sus, ledit primate s’avère être un immense philosophe – discipline et pratique ô combien nécessaires afin de parvenir à une vie en société (comme intérieure) équilibrée –, on se dit qu’il y a là du high level dans le concept qui a conduit Daniel Quinn à rédiger ce roman initiatique. En tout cas, ça fonctionne. Quinn renouvelle le genre du discours platonicien. Ce n’est pas Socrate qui accouche les âmes de ses interlocuteurs tel une sage-femme experte en maïeutique, mais Ishmaël, un gorille établi en ville.

« “Chaque culture tribale encore existante a subsisté pendant des milliers d’années, et cela parce que ses membres s’en satisfaisaient. Il se peut que des sociétés tribales aient adopté des coutumes intolérables pour leurs membres, mais si c’est le cas, ces sociétés ont disparu pour la simple raison que les gens n’étaient pas contraints de les supporter. Il n’y a qu’une façon de forcer les gens à accepter un mode de vie intolérable.

- Oui, dis-je. Il suffit de mettre la nourriture sous clef (souligné par nous).” » (p. 127)

Ce débonnaire hominoïde, qui a passé la majeure partie de son existence dans un zoo et aspire à retrouver son Afrique originelle, cherche, à travers ses enseignements prodigués à de rares élèves, à (ni plus ni moins) sauver le monde via une vaste compréhension de ses mécanismes – mécanismes qui l’ont conduit à l’état de délabrement et d’inhabitabilité croissants qu’on lui connaît, du fait qu’on ait mis « la nourriture sous clef », amenant à une aliénation collective plus ou moins subie et conscientisée. On assiste ainsi à une lecture de l’épopée humaine très différente de celle à laquelle on est habitué à force de se coltiner des manuels d’Histoire (écrits très largement du point de vue des prédateurs et de la caste humaine dominante). Ishmaël découpe de fait l’humanité en 2 sous-groupes : Ceux-qui-prennent (à savoir ceux qui vivent en suivant les préceptes du monde occidental, et mettent la « nourriture sous clef ») et Ceux-qui-laissent (ie ceux qui, de plus en plus rares et menacés, vivent encore selon des modes de vie tribaux, en osmose avec la nature et n’ont pas encore été mis au pas, assimilés – ou exterminés – par Ceux-qui-prennent).

« Proscrire n’était pas dans l’esprit de la loi tribale, qui servait à limiter les dégâts et à réconcilier les gens dans chaque tribu. Les lois tribales ne disaient pas “On ne doit pas faire telle chose”, sachant pertinemment que cela se produirait un jour ou l’autre. Elles disaient plutôt : “Quand telle chose se produira, voici comment réparer autant que faire se peut.” » (p. 146)

Petit à petit se dessine ainsi une nouvelle philosophie dont l’ambition n’est rien moins que de changer le cours du monde – monde qui comme chacun·e sait courra toujours plus vite à sa perte si on laisse Ceux-qui-prennent poursuivre sur leur lancée mortifère. Ces derniers sauront-ils écouter les sages paroles de ce vieux gorille paisible – et s’en imprégner – au point d’infléchir la trajectoire tragique qu’ils suivent depuis des lustres et revenir ainsi à une vie plus harmonieuse ? C’est du moins le souhait le plus cher et ardemment révolutionnaire d’Ishmaël lorsqu’il dispense ses cours très stimulants à Julie, une jeune collégienne états-unienne pleine d’allant et de vivacité d’esprit.

« La vie tribale n’était pas une combinaison de nantis et de démunis. Pourquoi les gens auraient-ils supporté un tel arrangement, à moins d’y être forcés ? Et jusqu’à ce que vous mettiez la nourriture sous clef (souligné par nous), il n’y avait aucun moyen de les y contraindre. Mais le mode de vie de Ceux-qui-prennent a toujours engendré des riches et des pauvres, ces derniers constituant l’écrasante majorité des humains. Comment les démunis auraient-ils pu découvrir la source de leur infortune ? À qui auraient-ils pu demander pourquoi le monde est ainsi fait qu’il favorise une poignée d’individus, tandis que l’écrasante majorité croule sous le labeur et va nue, la faim au ventre ? À leurs gouvernants, leurs maîtres, leurs patrons ? Sûrement pas. » (p. 152)

Mon Ishmaël – Professeur cherche élève désirant sauver le monde, essai de Daniel Quinn, Éditions Libre, Herblay, trad. de l’anglais (É-U) par Valérie Rosier, 2019, 16 €, 376 p.

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