M : La longue nuit des garçons maudits

Sorti en 2019, M de Yolande Zauberman devait être projeté au festival Les Étoiles du documentaire en octobre 2020. Il évoque le retour dans sa communauté religieuse d’un jeune artiste israélien, victime enfant de rabbins pédophiles. Un film qui cogne dans le ventre et bouleverse par sa douceur attentive. Ou comment la parole libère et répare.

 

©M-de-Yolande-Zauberman-MidPlus-702x336Menahem Lang, chanteur et comédien, revient après dix ans d’absence dans sa communauté hassidique ultra-orthodoxe de Bneï Brakn. Un quartier de Tel-Aviv où la police et les criminels n’existent pas parce que les rabbins se chargent de régler les problèmes et de commettre les crimes. C’est-à-dire de violer les enfants dont M(enahem) à partir de 4 ans. Le début d’un cercle oppressif infernal. Un agrégat pédophile caché derrière la religion. La culture du viol à son paroxysme. Frontale dans les mots.
La caméra de Yolande Zauberman s’enfonce dans la nuit de M(enahen). La nuit et ses lumières urbaines comme autant d’éclairage sur des aveux à fleur de peau. La nuit et ses spectres de la réalité bien plus effroyables que les monstres des cauchemars fluides. La nuit masculine dans laquelle la mémoire de M s’est enfermée parce que les hommes du jour lui ont pris son corps et son âme. Les nuits des garçons maudits  « je suis la voix de cent enfants » psalmodie en yiddish M(enahen) de sa voix d’or dès les premiers plans du documentaire sur une plage nocturne. Des voix et des visages plein-champ ou de dos qui émaillent ensuite le documentaire. Confessions des sacrifiés sur l’autel de la foi et de ses prédateurs. Des viols répétés et dilués dans les us et coutumes patriarcales.

imagesLes témoignages se multiplient en plans serrés sur les récits, les aveux mais surtout les fragilités. Des mots en miroir. Des souvenirs qui se morcellent. Des vérités balbutiées. Pourtant pléthore de non-dits. La caméra-témoin de la réalisatrice accompagne les paroles dans les dédales des mémoires traumatiques. Le documentaire agit comme un chant liturgique révélateur. Qui raconte la domination, le pouvoir et la brutalité. Qui raconte la complexité qui mène à la réconciliation. Tandis que la réalisatrice constate en voix-off que les victimes d’abus sexuels conservent un visage juvénile comme si quelque chose d’eux n’avait jamais quitté l’enfance. M(enahen) adulte demeure incandescent et radieux. Proche de femmes trans dont il partage une beauté foudroyée.

e5d427f_iGazdMqGxxARO8BeX9pYgXKwLe documentaire de Yolande Zauberman s’achève sur une citation de Kafka : « Je suis parmi les miens avec un couteau pour les agresser, je suis parmi les miens avec un couteau pour les protéger ». Ce film est mon couteau. M est une parole qui déchire. Une parole qui apaise. Une parole qui délivre. L’image comme témoin. Comme expiation. Comme médication. Vers la résilience en forme de danse finale.

M, documentaire de Yolande Zauberman avec Menahem Lang – Sortie le 20 mars 2019 – 1 h 46.

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