Agir ici et maintenant – Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin, par Floréal M. Romero

Agir ici et maintenant – Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin, par Floréal M. Romero : Le rêve d’une vie meilleure, hic et nunc, ne date pas d’hier ; mais cet ouvrage a le mérite (parmi d’autres) d’établir une feuille de route pour la mise en œuvre de ce projet politique forcément un peu révolutionnaire sur les bords.

« Pour Bookchin, l’anarchisme ne représente pas un idéal lointain, mais au contraire une condition préalable à l’application des principes écologiques. » (page 68)

« C’est une partie de notre mission que de sensibiliser le plus de personnes possibles au concept démocratique réel, c’est-à-dire décentralisé, égalitaire, non coercitif et coopératif. » (page 172)

533x800_RomeroTrès inspiré par le modèle du communalisme libertaire de Murray Bookchin (1921-2006), Floréal M. Romero (qui présentait son ouvrage vendredi 15 novembre à la librairie Planète Io) part du constat que le capitalisme mène nos sociétés au désastre. S’il s’agit donc de le combattre, encore faut-il ne pas s’y prendre n’importe comment et avoir, dans sa besace, un paradigme de secours. Les références à la si méconnue révolution espagnole, de 1936 à 1939 (à laquelle participa le père de l’auteur et que Murray Bookchin prend également comme point d’appui*), ou aux expériences plus récentes menées au Chiapas ou au Rojava abondent dans Agir ici et maintenant… La démonstration est ainsi faite que des alternatives concrètes existent. Celles-ci vont à rebrousse-poil des lourds systèmes pyramidaux que l’on connaît d’ordinaire en Occident et qui concentrent toutes sortes de complications, de gaspillages et d’énergies perdues. On peut tendre vers d’autres caps, esquisser d’autres désirs, articulés non plus autour du profit et de l’individualisme mais autour des valeurs élaborées lors des luttes portées par les anarcho-syndicalistes du début du siècle dernier, lors des combats luddites, à l’occasion des luttes féministes ou bien des grands rassemblements cosmopolites pour la préservation d’un biotope menacé. « La société libre et organique forge la technologie qui lui correspond à la fois comme nerf et comme squelette afin de dépasser le stade de la rareté mais aussi de tisser le lien connectant toute une mosaïque d’écocommunautés. » (page 55)

Le capitalisme « a transformé la ville** en un véritable cancer, écologiquement parlant, puisqu’on ne peut plus contrôler sa croissance qui dévore les écosystèmes, ceux-là même qui nourrissent l’humanité et la vie en général. La ville a atteint ses limites. La mégalopole est devenue le plus grand obstacle structurant la société. » (page 58)

Se réapproprier le pouvoir de décider collectivement, au niveau du lieu qu’on habite, ce qu’on met en place, produit, de quelle manière, avec quelle éthique, etc., est une démarche qui a des précédents, que ce soit sur une zad contre un projet inutile imposé, ou dans un squat, dans le cadre d’une Amap ou de quelque poche de résistance que ce soit, ces expériences locales émancipatrices de communalisme ne demandent qu’à prospérer. Elles sont le terreau, grouillant de vie, d’un monde à venir aux besoins repensés, riche d’une diversité féconde, en osmose avec une nature respectée. « La diversité que permet la décentralisation favorise, autant au niveau social que dans le domaine de la nature, la stabilité, la résistance et la capacité de résilience. » (page 68)

Le combat s’annonce long et costaud. Mais ô combien nécessaire. « C’est peu à peu, en rongeant les logiques du féodalisme et de la noblesse que la bourgeoisie avait réussi à les vider de leur pouvoir. Avec nos pratiques sociales et politiques [fondées sur la promotion du communalisme libertaire via des Amap, des squats, des accueils de migrants, des associations prônant l’autogestion et institutionnalisant les “initiatives basées sur la solidarité” (page 210)], nous devons à notre tour ronger le pouvoir du capitalisme en occupant l’espace de nos alternatives concrètes, en construisant ainsi en parallèle un nouveau monde. » (page 211)

Sa conclusion : « À nous d’apporter une orientation révolutionnaire aux mouvements sociaux, à l’écologie en particulier, pour développer et proposer une politique radicale située hors des vecteurs capitalistes (souligné par nous) : le communalisme ici et maintenant. » (page 220)

* Voir aussi Hommage à la Catalogne, de George Orwell (1938), que nous aurons peut-être prochainement le plaisir de chroniquer dans les colonnes toujours aussi hospitalières que généreuses de L’Imprimerie nocturne.

** « Les anarchiste partent de la constatation que la ville institue la non solidarité, “l’œuvre typique et caractéristique du capitalisme” étant donné que “l’argent est le roi et le maître du monde et les politiciens leurs serviteurs” (in Revue Estudios, 1935). » (page 82)

Agir ici et maintenant – Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin, par Floréal M. Romero – Préface de Pinar Selek et postface d’Isabelle Attard – Parution aux toujours très pertinentes éditions du commun – Octobre 2019 – 280 pages – 16 €.

Envie de réagir ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>