Les 16 & 17 mai à l’Aire Libre Thomas Fersen s’est produit à deux reprises dans une salle qui affichait complet. Mes amitiés à votre mère est le spectacle du moment que l’artiste « breton de cœur » est venu présenter sur la scène jacquolandine.Rencontre.
Un univers théâtral fripon, poétique et drôle qu’il combine avec quelques-unes de ses chansons. L’art de la parole, l’oralité, l’utilisation des mots poétiques justes et la recherche de la perfection syntaxique fine et humoristique relèvent d’une conviction pour Thomas Fersen.
- Hier nous participions à cette représentation presque théâtrale, hybride entre one man show raffiné, conte chanté, poésie musicale et vers mélodiques. Vos spectacles ne sont plus que de simples tours de chant. Ces nouvelles orientations artistiques annoncent-elles pour vous, un besoin de vous renouveler dans votre art, votre créativité ?
Thomas Fersen : J’ai commencé ce genre de spectacle depuis 5 ans déjà, ce n’est plus un début pour moi. Effectivement, j’ai pris un chemin de traverse et je n’ai pas l’intention de le quitter car il m’amène vers des perspectives, un champ des possibles qui, selon moi, n’est pas encore entièrement exploré. Je suis venu à cette forme actuelle du spectacle petit à petit, en parlant de plus en plus entre mes chansons et surtout en écrivant mes interventions en vers comme je le fais pour la musique.
- Ce spectacle Mes amitiés à votre mère évoque davantage le cabaret-théâtre que l’univers du concert de chanson française. Envisagez-vous dorénavant votre évolution professionnelle vers le métier de comédien acteur ?
J’ai déjà joué au théâtre pour 52 représentations dans L’histoire du soldat, un conte musical d’Igor Stravinsky et de Charles Ferdinand Ramuz. Alors oui effectivement, je suis attiré par le jeu qu’il soit chanté ou parlé. J’ai envie d’aller vers où j’ai commencé seul, petit, dans ma chambre à jouer la comédie, bien avant la chanson. C’est pour ça je pense que de façon inconsciente, en écrivant des chansons, j’écrivais les histoires d’un personnage avec un fil narratif. J’ai toujours été dans cette irréalité du conte et de l’histoire.
- Quelles étaient vos intentions dans l’écriture et la mise en scène de ce nouveau spectacle, de cette tournée ?
Mon personnage est un peu immature, farfelu, insolent, irrévérencieux. Je pense qu’il est le reflet de chacun, de notre vanité mais aussi de notre humanité. Il s’exprime en vers, ce qui est paradoxal car il essaye d’utiliser la langue française dans ce qu’elle a de plus riche et de classique alors que c’est un personnage de la rue. C’est ce que j’essaye de solliciter chez le spectateur, c’est de prendre un peu de distance et de recul sur soi, sur son sérieux. J’écris uniquement dans cet esprit-là même si au départ je n’ai pas une idée précise. Elle apparaît et se détache au fur et à mesure. Alors, je concentre mon travail essentiellement pour elle. J’écris avec la liberté, la fantaisie de mon esprit qui vagabonde sur son chemin buissonnier et c’est elle qui m’a conduit à proposer ce spectacle.
- Il semblerait que votre audience, vos spectateurs s’y retrouvent et vous suivent dans cette nouvelle étape, la salle de l’Aire Libre à Saint-Jacques est complète les deux soirs de représentation. En écrivant ce nouveau spectacle, vous réalisiez mettre en danger votre notoriété et troubler votre auditoire ?
Non, je pense même au contraire que je vais vers mon salut. Je sentais plutôt le danger de continuer à produire ce que j’avais déjà fait. Il faut toujours surprendre les gens quand on fait du spectacle vivant. Bien sûr dans mon spectacle, il y a des chansons de mon répertoire qui viennent s’intégrer, surtout ne pas rompre le fil de mon récit mais plutôt l’enrichir. Je sentais mon public prêt à ces changements. J’avais tâté le terrain de façon plus ou moins consciente lors de mes anciens concerts. Je sentais bien que l’attention du public, sa réaction, les instants de communion que nous avions à ces moments-là étaient prometteurs.
- En 2010, vous êtes nommé officier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Vous avez reçu récemment la médaille de vermeil de la chanson par l’Académie Française. Que représente cette langue française pour vous ?
J’ai le goût de la langue française depuis toujours. C’est quelque chose qui est essentiel chez moi, qui me procure une joie et un amusement quotidien. La langue m’amuse, je la trouve jubilatoire, c’est un plaisir inépuisable et ce, dans toutes circonstances. Même pour les instants de vie dramatiques et tragiques, elle m’apporte un peu d’air et mon esprit a ce réflexe de désobéissance et trouve dans la langue, une échappatoire. Je revendique cette irresponsabilité, je ne fais pas de chansons engagées mais je suis juste là pour semer le trouble. Mon rôle à moi c’est de taper dans l’eau avec un bâton. Je crois avoir le sens de la formule, de sentir la phrase ou l’expression qui va réussir à percuter sur l’inconscience et retenir l’attention du public.
- Vous étiez l’un des artistes référents du mythique catalogue du label Tôt ou Tard que vous avez quitté il y a quelques temps. J’imagine que c’est une décision réfléchie et mesurée. Vous souhaitiez sans doute prendre une certaine liberté artistique et vous affranchir des obligations de résultats économiques que le label vous imposait ?
C’est-à-dire que quand vous engagez l’argent des autres, c’est un peu délicat. C’est compliqué de faire des choix qui sont remis en cause. Par contre quand c’est votre propre argent, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même. J’avais envie d’aller vers mon propre chemin et de le suivre. Ce n’était pas forcément celui qui pouvait intéresser et profiter au label Tôt ou Tard. Je pense aussi qu’il y avait une distance qui s’était créée entre Vincent Frèrebeau, le fondateur du label et moi. Il avait d’autres occupations, nous ne partagions plus cette complicité qui nous avait réunis au début de notre carrière à tous les deux. On s’est connus lorsque nous avions 23 ans ! Depuis quelques temps, je travaillais dans mon coin et lui dans le sien. Lorsqu’on se retrouvait on ne se comprenait plus très bien. Je trouvais que c’était plus simple pour nous de changer de chemin. Et Vincent Frèrebeau était bien d’accord avec moi. On avait un peu de tristesse et d’inquiétude aussi parce qu’en ce qui me concerne je n’avais toujours travaillé qu’avec lui. J’ai un peu sauté dans le vide avec ce dernier projet ! Je tiens à préciser aussi que quand je suis parti je n’avais ni album ni label, absolument rien ! D’ailleurs je souhaitais partir avant toute autre proposition pour que mon départ ne puisse pas ressembler à une quelconque trahison. C’est une profonde amitié de plusieurs dizaines d’années, puis un respect mais aussi une estime car Vincent est quelqu’un de profondément attachant.
- Vous annonciez hier soir retrouver le groupe de musiciens qui vous accompagne, un nouveau projet d’album est donc en gestation ?
Oui et ce disque est d’ailleurs maintenant terminé, il va sortir le 27 septembre et sera suivi d’une tournée. Effectivement je retrouve mes musiciens. Nous serons 5 sur scène autour de l’accordéon d’Alexandre Barcelona qui m’accompagne depuis 1997 mais aussi du guitariste Pierre Sangra et de tous les autres. Ce sont des vieux copains que je suis content de retrouver parce que c’est aussi le leitmotiv de cette tournée : Le joie de rejouer ensemble, c’est un grand plaisir !