Rencontre à l’ouest avec Tamahagané

L’imprimerie Nocturne s’est temporairement exportée en Finistère le temps d’une interview. L’occasion de rencontrer des personnes qui vivent leur passion et qui la concrétisent par un bon nombre de projets musicaux. Tamahagané 3.0, le dernier album instrumental en date sorti début 2016, confirme le penchant passionné et productif des quatre beatmakers. Composée par Raan, Tideux, Many The Dog et FL-How, l’équipe s’est formée grâce aux liens tissés par la culture hip-hop pour aboutir à ce projet. Mais au-delà de la musique, c’est avant tout l’entente collective de l’équipe qui nourrie l’avancée et l’évolution de « Tamahagané ».


  • L’Imprimerie Nocturne: Après quelques recherches sur le web j’ai appris que le tamahagané est un métal utilisé pour fabriquer les sabres japonais… Pourquoi avoir choisi ce nom?

tamahaganeRAAN : J’ai proposé l’idée de ce nom-là aux copains parce que d’une je suis un grand fan de l’Asie et vu que ce sont des albums instrumentaux à base de samples, je me suis dit que le sample c’est comme une matière noble, il fallait que je trouve un nom qui ait un rapport avec ça. Je regardais un docu sur la fabrique des katanas et là bingo ! Le minerai qu’ils utilisaient pour la fabrique des sabres s’appelait le tamahagané…

TIDEUX : C’est long l’aboutissement d’un katana en fait. Tous les jours les mecs ils frappent, pendant des mois, après ils polissent pendant un mois et ils obtiennent une lame de ouf… La lame est en même temps souple et dure du coup le fait de découper des samples c’est dans cette idée. Nous on estime que la musique qu’on récupère, parce qu’on ne joue pas directement on n’est pas des musiciens à ce niveau-là on est plus des mecs qui échantillonnent, on crée des nouvelles musiques, mais on n’est pas musiciens donc c’est plus le fait de ramener une noblesse aux musiques qu’on utilise. Et finalement le tamahagané c’est en plein dedans.

RAAN : Je trouvais le parallèle super intéressant. Après le nom en lui-même est peut-être un peu dur à dire quand t’as pas l’habitude, mais en même temps le fait d’avoir un nom un peu difficile à dire ça reste plus dans la tête des gens. Parce que souvent t’as un nom passe-partout ça rentre par là et ça ressort aussitôt de l’autre côté donc ça a un côté à double tranchant quelque part. Mais avant tout je trouvais le parallèle avec l’histoire des samples comme Tideux l’a dit vraiment intéressante, ça colle vraiment au délire.

  • I.N. : Comment est vraiment née l’idée du projet « Tamahagané » alors ?

RAAN : On a commencé en 2013, mais ça s’est précisé pendant la réalisation de l’album de FL-How, le quatrième beatmaker de l’équipe qui est aussi emcee, qui s’appelle Immonde Nuisible Hostile. C’est là qu’on a eu un surplus d’instrus et on se disait « bon on en fait quoi de ces intrus ? » du coup plutôt que de les mettre à la poubelle on a sorti un projet. À la base le premier c’était pour le fun donc il a fallu trouver le nom et on a trouvé un copain aussi, Sinok, qui n’est pas là ce soir mais qui a fait un taf de ouf sur nos artwork.

TIDEUX : Sinok c’est un copain de graff à la base.

MANY THE DOG : En fait on s’est surtout réunis autour de l’album de FL-How. C’est ça qui nous a réunis et on est devenus des potes vu qu’on a le même style… Après on a parlé de ce projet-là (Tamahagané ndlr) et on s’est carrément bien entendus !

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  • I.N. : Parce que toi Many The Dog tu viens de Toulon à la base, t’es arrivé il y a combien de temps dans le Finistère ?

MANY THE DOG : Ouais c’est ça, je suis arrivé dans le Finistère en 1996-1997 par là. J’ai commencé le son peu de temps après pour m’amuser à ce moment-là tu vois, c’était pas ouf… Mais le projet à la base vient de Tideux et Raan. Après nous quand on se lève, on allume le matos, on réécoute le beat qu’on a fait la veille et soit on bosse dessus, soit on va recouper un sample, soit on a entendu une musique dans un reportage la veille et on veut bosser dessus… On est dedans constamment, c’est une passion à la base.

TIDEUX : Après on travaille à côté aussi donc c’est pas toujours évident, mais dès qu’on peut on est dedans.

  • I.N. : D’ailleurs vos volumes font quand même une bonne vingtaine de titres à chaque fois c’est quand même conséquent et je trouve que dans vos 3 projets les beats ont une certaine cohérence entre eux…

MANY THE DOG : Bah ouais y a une cohérence dans la façon de produire déjà et à chaque fois c’est vrai que c’est presque trente beats gratuits. C’est surtout énormément de téléchargements avec des lectures en Italie, en Grèce y a même des mecs qui ont posé sur nos prods jusqu’à Chicago donc c’est clair que ça fait plaisir !

RAAN : Bon par contre faut que j’essaie de les freiner aussi, parce que c’est des machines les gars, et avec eux t’as vite fait de dépasser les 90 minutes sur le CD ! On a fait en sorte que chacun ait son identité propre, et c’est la même personne qui mixe donc ça permet d’avoir un truc cohérent. En tout cas dans le mix j’essaie de faire en sorte que personne ne soit lésé, que chaque beat soit mis en valeur. Après petit à petit le mixage s’est affiné avec de meilleurs outils pour travailler et il n’y a plus la notion de chanteur donc chacun sait ce qu’il veut dans son mixage… Par exemple avec Many on aime bien que notre batterie elle pète, FL-How et Tideux ils aiment bien avoir une rondeur sur la basse et le sample… Donc tout ça ce sont des choses qui se font au fur et à mesure et c’est un travail super intéressant.

« Il y a un rapport de plaisir dans le travail et ça paye. »

MANY THE DOG : Ouais c’est super intéressant parce que pour moi le son quand ça a commencé à devenir sérieux c’est quand j’ai commencé à travailler avec FL-How, Tideux et Raan et du volume 1 au 3 j’ai énormément progressé grâce à eux. Et dans deux sens, dans le sens où ils m’ont expliqué plein de choses dans le travail technique et dans le sens où on est une équipe, on se tire vers le haut, on aime bien se mettre des cartouches sans le vouloir, mais c’est grâce à ça que tu progresses.

RAAN : Ouais ce qui est intéressant c’est la personnalité de chacun, on est franc et direct entre nous et c’est constructif. Au niveau du travail on se donne nos avis et ça nous tire vers le haut. Il y a un rapport de plaisir dans le travail et ça paye.

MANY THE DOG : C’est ce qui donne cette cohérence dans les projets, pourtant c’est à chaque fois une trentaine de beats qui sont créés chacun dans leur coin… Et tu vois créer un truc comme ça sans que ça soit fait en même temps le fait de bien se comprendre ensemble ça joue beaucoup donc quelque part c’est obligé que ça se passe comme ça… Y a une cohérence c’est clair, mais c’est aussi une alchimie, c’est pas que de la musique.

  • I.N. : Et pour ce qui est de FL-How, il est assez actif sur Brest mais je l’ai plus entendu en tant que rappeur, maintenant il se met autant au beatmaking qu’au rap ?

RAAN : Il rappe plus qu’il ne fait de beatmaking et c’est vraiment un très bon rappeur mais nous on le pousse un peu au cul en beatmaking parce qu’il a sa touche… C’est un des rares gars avec qui j’ai travaillé où le gars quand il arrive il sait ce qu’il a à faire, il est vraiment dans la performance et pour vraiment voir la dimension du type faut le voir en live et là tu sais à qui t’as affaire. Déjà le gars tout ce qu’il raconte tu sais qu’il y croit dur comme fer et tu sens que c’est son truc, il prend son pied.

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MANY THE DOG : Il est hip-hop le gars. Très perfectionniste avec une putain d’oreille. Et d’un point de vue personnel je trouve qu’il n’est pas assez écouté parce que t’écoutes l’album pour moi c’est un classique. Bien sûr faut être ouvert d’esprit parce que tu peux pas écouter un album comme ça si t’es pas ouvert d’esprit. Concrètement t’es dans une case mais c’est assumé totalement.

RAAN : On est loin du cliché dans le discours, c’est un discours ouvrier du gars qui a du vécu sur le terrain et on n’est pas non plus dans un truc à la MC Solaar très poétique. C’est droit direct dans ta gueule et tu sens que c’est bien réfléchi. Il s’est beaucoup intéressé à un bon nombre de sujets et c’est pas que parce qu’il y a le vécu mais il lit aussi énormément de bouquins et il s’informe sur beaucoup de trucs.

« On est des guerriers de l’ombre déjà ! »

  • I.N. : L’instrumental ça laisse place à l’imagination, il y a une volonté pour vous de guider l’auditeur vers un chemin particulier ? D’ailleurs ça c’est une remarque personnelle très subjective mais je verrais presque vos beats comme de la musique de combat…

12795289_1039874772702093_2708516125358726885_nTIDEUX : Bah nous on est des guerriers de l’ombre déjà !

RAAN : Many a fait de la boxe thaï donc peut-être que pour lui c’est le cas !

MANY THE DOG : Bah souvent on me dit que vu que je fais de la boxe ça devrait se ressentir dans mes beats… Je dis oui et non à ça, je sais pas trop en fait… C’est pas voulu spécialement, c’est pas de la nervosité non plus… J’aime bien quand ça tape mais j’aime aussi quand y a pas de beat, ça dépend, ça se fait tout seul en fait.

TIDEUX : C’est plus dans les profondeurs… Les samples que je choisis de toute façon ils ont besoin de me faire quelque chose parce que je fais plein de sons dans l’année. Y’en a plein qui ne sont pas aboutis parce que je me rends compte au fur et à mesure que je les fais qu’ils ne valent pas le coup, mais tous ceux que je sors en général ils ont quelque chose de profond… Y a peu de trucs de guerre, enfin y en a de temps en temps mais pas trop, c’est plus du boom bap que du trip-hop. La musique instrumentale hip-hop ça se rapproche toujours un peu du trip-hop où ça part en ambiance mais nous on préfère le beat brut.

RAAN : Moi perso j’ai une grosse expérience de scène donc il faut que se soit vivant, quand je fais un son je me vois le faire sur scène. Je me suis un peu calmé sur le volume 3 histoire de dire que j’ai aussi un cœur mais d’où aussi le nom tamahagané. J’ai toujours eu une relation avec la musique assez martiale, je pratique ça comme un art martial. Et c’est vrai que les trucs qui me font kiffer ça va se sentir, et puis c’est le délire un peu rock’n'roll, l’attitude gros riff de gratte et on envoie la purée !

« trouver la chaleur des samples (…) »

MANY THE DOG : Les samples qu’on utilise sont chargés, y a de la chaleur. On fonctionne tous un peu de la même façon, on est des grands sensibles au fond de nous dans le sens où notre musique c’est un peu nous. Enfin moi perso si un jour je suis pas bien ça va se sentir dans la prod que je ferais dans la journée c’est clair et net. Le jour où je suis énervé ça te fera peut-être penser à de la boxe tu vois !

RAAN : Comme dit Tideux c’est pas du trip-hop, on n’est pas partis dans les trucs un peu ambiancés il faut vraiment que la batterie elle claque un minimum… Parfois dans les samples choisis avec une ambiance un peu sombre ou triste y a quand même la force de la batterie qui est là justement pour contrebalancer l’énergie.

TIDEUX : Et même les trucs ambiance y a un truc lourd derrière, pas un truc qui t’endort et t’es là « wah qu’est-ce qui se passe ?! » Faut trouver la chaleur des samples, même les samples froids ils sont chauds quand même, selon comment tu frappes tes beats.

  •  I.N.: Et quoi de prévu à l’avenir?

TIDEUX : Moi j’ai un projet instrumental qui arrive là avec 14 sons qui va s’appeler Patience, en plus de ça il y aura aussi un projet rap qui va se monter dans l’année normalement. J’ai aussi monté un autre projet avec Many. Il avait une idée qui était plutôt sympa parce qu’on a tous une façon différente de découper les samples donc il va me présenter quelques lignes de samples, moi je frapperai les beats et inversement… C’est pas encore fini, mais c’est plutôt pas mal. Sachant que la ligne de base du projet c’est la soul et que ça va s’appeler Deeper Damage. Je sais que Flo il voudrait faire aussi des projets instrus, Raan il a déjà un truc en route qui va suivre aussi derrière.

RAAN : Ouais moi je ferai un solo d’intrus aussi qui devrait s’appeler Spartacus, mais avec toujours la notion « guerrier » quelque part. Entre beat qui pète et beat très ambiance spirituelle… Les inspirations viendront de partout, autant des vieux films que de banque pour la radio, dans des trucs pop japonaise, dans du classique, du jazz enfin je ne me pose pas de limites à ce niveau-là.

Un grand merci à l’équipe pour l’accueil, avec le lien de l’album en téléchargement libre ici. Bonne écoute !

 

 

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