Mythos 2017 : Rodolphe Burger

Sur la table de la loge de Rodolphe Burger, la quatrième de couverture d’un livre de chroniques musicales de Jackie Berroyer retient mon attention : « Tout est dit sur la musique, y compris qu’il n’y a rien à en dire puisqu’elle parle d’elle-même et par elle-même, tout le monde sait cela. Voilà pourquoi je préfère parler de moi. » Sans doute une des meilleures manières de parler de la musique consiste-t-elle à parler de soi, de son ressenti. C’est ce que nous avons essayé de faire, en compagnie du guitariste et songwriter alsacien à la voix de basse, en discutant de son dernier album, Good, sorti en février dernier.

Les photos sont issues du concert donné en ouverture du festival Mythos vendredi 31 mars par Rodolphe Burger… et ses invités.

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■ Tout d’abord, pourrais-tu revenir sur le processus d’écriture, et en particulier sur le rapport entre musique et littérature, dans cet album traversé par une multitude de voix…

 

Je peux dire que « Wasteland » est le premier morceau que j’ai imaginé, qui pour moi était clairement un morceau qui ouvrait la voie pour le nouvel album, j’y tenais beaucoup. « Wasteland » part d’une découverte d’archive sur Internet; tu te promènes sur YouTube et tu découvres qu’il existe un enregistrement de T.S. Eliot par Eliot lui-même, on l’entend parler, il y a même un moment où il chantonne ! Donc tu te rends compte qu’il y a un moment où lui-même imaginait quelque chose de musical. J’ai eu envie d’approfondir ce truc que j’ai déjà pas mal pratiqué, d’utiliser des voix enregistrées ou des archives. Il y a des voix d’écrivains qui me hantent, qui sont tellement inspirantes, qui ont une force particulière, comme Eliot mais surtout Cummings, une voix spectaculaire. J’avais déjà fait des morceaux à partir de sa voix, mais là je suis allé plus loin ; sur la chanson « Cummings » il était mon guide-chant, j’ai essayé de chanter exactement dans son sillage et d’orchestrer sa parole, sa voix, si bien qu’on a l’impression qu’il chante avec moi. C’est une sorte d’opération chamanique, un peu vertigineuse, qui est un des fils conducteurs et en tout cas un point de départ du disque.

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Bertrand Belin, invité

 « la musique des mots »

■ Depuis pas mal d’années, tu expérimentes avec les rapports texte et musique, et une voix qui semble suivre des voies dictées par la sensibilité… y a-t-il des choses nouvelles que tu as découvertes dans ce dernier album ?

Il y a tout un cliché autour de ce qu’on a l’habitude d’appeler « la musique des mots » ; c’est pas exactement ça qui m’occupe. Je m’intéresse beaucoup au sens, mais au sens pris dans une forme.

Quand je fais un album solo c’est que je recherche quelque chose de neuf, c’est déjà ce qui avait motivé Cheval Mouvement, mon premier album solo. J’avais besoin de le faire seul, je ne pouvais pas le faire dans le contexte du groupe Kat Onoma. Dans ce dernier album, je suis allé plus loin que jamais dans cette recherche au niveau du rapport texte-musique qui est assez intime, personnel, qui ne peut pas vraiment être partagé. Et puis l’album solo c’est aussi une recherche au niveau de la production, de la recherche d’un son ; j’essaye d’ouvrir de nouvelles portes, de remettre en cause des idées reçues. Paradoxalement, ce sont aussi les albums les moins solitaires au niveau de la prod, des machines, et de la rythmique, parce que j’ai besoin d’un partner pour m’occuper du son. Sur cet album c’est la rencontre de Calpini qui a tout déclenché, c’était le partner dont j’avais besoin pour ouvrir une nouvelle voie, chercher un nouveau son. C’est le son qui ouvre la porte, on trouve une direction de son comme une matrice.

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■ Ton processus de composition passe donc d’abord par le son ?

Je dirais qu’il y a plusieurs entrées dans la composition d’un morceau, l’entrée musique, l’entrée texte, l’entrée son, qui fabriquent des petits moteurs qui fonctionnent, et puis ça devient exaltant. Même si j’aime bien qu’un album soit écrit, bien articulé, ce que je fais n’a rien à voir avec du concept-album. J’adore le studio, j’aime le son, le beau son, mais la restitution sur scène est un passage très important aussi. Le concert est vraiment un lieu de vérité, de vérification. La présence du public permet que la musique soit adressée.

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■ A contrario, ta voix sur l’album semble dirigée vers l’intérieur : on dirait qu’il y a une espèce de conscience ou de Zarathoustra qui nous parle, dans la tête de chaque auditeur. Pas tant une voix qui porte vers l’extérieur, vers l’universel, que vers l’intérieur de chacun.

Ça me plaît ce que tu dis, ça correspond assez à ce que je recherche. Dans Kat Onoma, je me sentais un peu limité : en tant que chanteur du groupe, tu te retrouves forcément à être le porte-parole. C’est pour cette raison que j’ai fait Cheval Mouvement en parallèle, j’avais besoin d’aller explorer des choses que je pouvais pas explorer dans le contexte du groupe, parce qu’il fallait que j’aille chercher une voix qui soit adressée, mais à la fois tournée vers l’intérieur. Mon but n’est pas de faire une musique de chambre, une musique solipsiste, mais oui, c’est exactement ce que tu dis.

 

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■ Cette voix, très profonde, vibratoire, caverneuse, semble s’adresser aux élans, aux pulsions…

Oui, il s’agissait de faire entendre cette voix intérieure, extrêmement cruelle, la voix du surmoi, un peu comme on peut se parler à soi-même… C’est une voix qui se rapproche de celle de « Samuel Hall » de Bashung.

■ Et pourtant, l’album est Good !

Oui, ça c’était le challenge ! Il n’y a pas que la voix du love dans cet album ; il fallait arriver à faire rentrer des trucs qui soient assez unheimlich, un peu hard. Je voulais faire entendre une certaine cruauté, mais qui soit dite avec une certaine douceur. Ça impliquait de trouver la bonne mesure pour donner quelque chose d’indécidable, au niveau du ton.

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■ Pour finir, et pour les non-germanophones, peux-tu nous dire de quoi parle la chanson « An Lili« , interprétée en duo avec Sarah Murcia ?

C’est une chanson que Goethe a écrite pour sa mère, et il se trouve que ma mère s’appelle Lili. En fait, cette chanson existait dans une première forme plus grinçante, avec la voix de ma mère en train de traduire le texte original de Goethe, poussant des exclamations, considérant presque Goethe comme un ami proche, du seul fait de la langue. Avec la guerre et le nazisme, l’allemand a été une langue profondément détruite, au point même d’être interdite ; je voulais faire entendre cette langue allemande dans la douceur qu’elle m’évoque.

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