[Festival L’Étincelle] L’art de conter nos expériences collectives

Première édition du festival L’Étincelle, au théâtre de la Parcheminerie, le jeudi 21 mars 2019 à 18h30. Présentation de L’art de conter nos expériences collectives – Faire récit à l’heure du storytelling, de Benjamin Roux.

 benjamin-roux-parcheminerie

533x800_Benjamin-RouxSe fondant sur son expérience des collectifs, auxquels il contribua ou auprès desquels il a enquêté, Benjamin Roux déploie une argumentation autour de l’importance du récit, de ce rapport au réel qui nous permet non seulement d’y adhérer mais aussi de l’édifier, en commun, d’y apporter notre paragraphe, de transmettre un vécu. Ce récit évidemment supposera une temporalité propre, un point de vue – si ce n’est un héros –, une causalité logique, une intention…

Ses interrogations s’articulent donc d’abord autour des traces (écrites, dessinées, vidéo, etc.) que nous observons, laissons, pouvons suivre, pister, exploiter.  Puis autour du récit. Comment un propos se transforme, s’il est relevé, en récit ? Que contient-il (un bilan, la constitution d’un socle commun, une évaluation en vue d’ajustements) ? Quelles actions ou quels faire (acheter, voter, cheminer, etc.) sont déclenchés par le récit ?

« Les collectifs ont besoin de se questionner sans cesse sur leurs pratiques. Sur les raisons qui les poussent à faire ensemble. Sans quoi, l’activité du groupe piétine et ses membres peuvent se désengager du projet commun. C’est une manière de redonner de l’élan et de la motivation au collectif. Ce besoin de se redire : “pourquoi nous sommes-nous mis ensemble et où voulions-nous aller ?” » (page 63)

Récits (performatifs car ils aident à la prise de décision) et actions sont ainsi imbriqués, nous démontre Benjamin Roux avec pédagogie. Le récit, s’il est réussi, convaincant, propagé avec insistance, nous embarque. Le storytelling (en usage depuis longtemps, pour le meilleur et pour le pire, dans les milieux de la publicité mercantile et de la politique d’État par exemples) vient capter nos flux, nos croyances, nos désirs. Qui a la meilleure histoire, la plus persuasive, la plus alléchante ? Laquelle définira le réel, emportera l’adhésion ? Peut-il y avoir des récits opposés, quand on évoque un même fait, une même réalité ? C’est naturellement tout l’enjeu qui se dessine lors d’un évènement comme le casse de l’hôpital pour enfants Necker, à Paris, lors d’une manifestation contre la loi Travail le 14 juin 2016 : s’agissait-il d’une vitre cassée par un flic infiltré, par un manifestant autonome désinvolte ou était-ce la marque du vandalisme sans vergogne illustrant la barbarie d’un mouvement social constitué d’ennemis des valeurs de la République comme les médias mainstream l’assèneront ? On le voit, des versions contradictoires s’affrontent.

Or comme conclura Benjamin Roux, nous sommes loin d’être égaux dans la diffusion et la promotion d’un récit. Celui-ci bien souvent sera déterminé par une autorité faisant office de phare éclairant la seule vérité qui vaille, grâce à l’appui de mass médias aux audiences importantes.

L’art de conter nos expériences collectives – Faire récit à l’heure du storytelling - Essai de Benjamin Roux – Éditions du commun, novembre 2018, 114 pages, 12 €.

Post-scriptum : La présentation de cet ouvrage fut suivie de la projection du film documentaire plein de bonne humeur et de revendications, Il suffira d’un gilet, de Valerio Maggi et Aurélien Brondeau. À l’applaudimètre, on aura bien compris qu’en ce qui concerne le mouvement des Gilets Jaunes, décrit ici dans ce reportage filmé à hauteur d’hommes et de femmes (voire d’enfants lançant des confettis sur les forces de l’ordre), depuis ses débuts en novembre 2018, avec ses occupations de ronds-points, ses opérations escargots enthousiastes, ses exactions policières, ses élans de solidarité envers les victimes des armes de guerre employées avec une fermeté sans équivalent sous la Ve République, ses manifestations et ses réunions à Morlaix, à la maison du peuple de Saint-Nazaire, à Rennes, Saint-Grégoire ou sur les Champs-Élysées, le récit qui aura emporté l’adhésion pleine et entière du public n’est peut-être pas celui que tente laborieusement d’imposer le gouvernement.

On soulignera au passage l’importance, à Rennes, d’un festival comme L’Étincelle, dont la première édition s’avère une réussite aussi largement bienvenue que plébiscitée.

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