Django, biopic d’Étienne Comar

Django : chronique de la vie d’un musicien exceptionnel, durant une période (1943-1945) elle-même particulièrement hors-normes.

Django_Reda-KatebPas facile de garder le sourire quand on joue devant une assemblée d’Allemands un peu nazis sur les bords… 

Ô toi lecteur·trice plus ou moins assidu·e de L’Imprimerie Nocturne qui peut-être ignore tout du jazz manouche et de la vie sous l’occupation allemande durant la 2de Guerre mondiale, précipite-toi pour voir cette pépite ! Durant cette sombre période, durant laquelle les gendarmes français, les miliciens collaborant et l’administration allemande traquaient les juifs (même si ici ce n’est pas précisément le sujet), les Tsiganes et les opposants pour les exterminer, continuer à vivre comme si de rien n’était était au bout du compte bien sûr impossible. Y compris pour un musicien nomade de talent se targuant d’appartenir à un peuple qui n’a jamais fait la guerre.

Au faîte de sa gloire, l’insouciant Django Reinhardt (campé par un Reda Kateb à la moustache impeccable crédible jusqu’au bout des doigts) incarne à lui seul le swing festif d’une musique métissée venue du fond des âges et du fin fond des steppes. S’il ensorcelle les nuits de Pigalle et égaye le public (constitué en partie d’officiers de la Wehrmacht venus passer du bon temps à Paris, qualifiée de « grand bordel des troupes allemandes »), il va avoir fort à faire pour passer entre les mailles du filet tendu par les nazis qui, ici, apprécient les arts forains, si et seulement si ceux-ci ne s’assimilent pas à une musique de « nègres », de « singes » (pour reprendre leur délicate nomenclature de Kommandantur un poil sourcilleuse), si et seulement si on joue piano, en accords majeurs, avec des solos qui ne dépassent pas 5 secondes et avec un nombre restreint de syncopes, sans trop d’allegro ni de presto… Bref, un art (de vivre) atrophié, allégé, édulcoré, sans excès ni aspérités ni envolées ni folies, sans saveur ni sentiment, aseptisé, passé au Kärcher, voire au lance-flamme, contraint, soumis à une discipline totalitaire militaire.

Mais l’art est-il jamais réductible à des injonctions coercitives ?

Avec une certaine réussite, Django mêle ainsi les faits liés à la Résistance et à la vie terrifiante sous l’Occupation avec les compositions réjouissantes jouées par Django (1910-1953) et son quintet, sans parler de ce méconnu Requiem pour mes frères tsiganes, morceau (partiellement disparu), pour orgue, joué une seule fois en la chapelle de l’Institut national des jeunes aveugles, une fois venue la Libération.

Évidemment, tout rapprochement avec les faits que nous vivons actuellement avec les rafles de migrants, de sans-papiers perpétrées par une police d’État zélée, les expulsions musclées et autres assignations à domicile pour les militants contestataires (le tout sous état d’urgence depuis quasiment deux années), sans oublier les onze millions d’électeurs qui voient la xénophobie sécuritaire comme une solution ou de ces médias*, suscite au minimum l’interrogation.

Cela dit, au-delà de certains aspects caricaturaux qui feraient presque penser à Inglourious Basterds de Quentin Tarantino (2009), j’ai bien aimé ce biopic, qui m’aura fait découvrir la musique de ce Django que je ne connaissais guère finalement, et que je croyais ne pas trop aimer, car trop stéréotypée ou trop entendue dans des ascenseurs, mais qui en fait possède pas mal de facettes, dont celle de la transe.

* Comme par exemple Radio Courtoisie (pour citer l’un des pires) dirigée par le révisionniste Henry de Lesquen, qui répand sur les ondes une propagande nauséabonde à l’encontre du blues et de tous ces autres courants musicaux « congoïdes » (sic).


Django, biopic d’Étienne  Comar – Avec Reda Kateb, Cécile de France, Bimbam Merstein… – Durée : 1h55 – Sortie le 26 avril 2017 – Film sélectionné en ouverture du 67e festival international de Berlin.

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