Chez nous, de Lucas Belvaux

Chez nous : un drame civique de Lucas Belvaux pour tenter de démasquer les mensonges, la démagogie et  les pièges tendus par la « bête immonde ».

 

Ça raconte l’histoire d’une infirmière, Pauline (jouée par Émilie Duquenne). Elle vit à Hénart (ville imaginée à partir de la commune de Hénin-Beaumont dont Steeve Briois est le maire FN), dans le 62, ce pays de terrils, de corons, de chômage brutal lié à la désindustrialisation et aux délocalisations (décrit également dans le documentaire de François Ruffin récemment et à juste titre récompensé d’un César). Dans cette région paupérisée et stigmatisée, le Front National petit à petit s’implante et impose pour de vrai ses répugnantes idées. Ce sont ces épisodes que Lucas Belvaux retranscrit dans un film où le FN devient le Bloc Patriotique, où Marine Le Pen devient Agnès Dorgelle (jouée par Catherine Jacob). Alors certes, les ficelles sont un peu grosses, mais la tentative de décrypter le réel, de détailler les rouages et les discours d’un parti nationaliste qui masque le fascisme rampant de son idéologie violente et fondamentalement raciste derrière la blondeur photogénique de leurs cadres est parfaitement louable.

DorgelleEntourée de sa chargée de communication un poil cynique (Stéphane Caillard) et par Pauline (Émilie Duquenne) sa recrue récente au grand cœur, Agnès Dorgelle (Catherine Jacob, formidable en blonde semblant tout droit sortie d’un carnaval dunkerquois) est bien décidée à faire main basse sur Hénart.

Dans des contextes sociaux compliqués (maladie, solitude, vieillesse, précarité accrue, promiscuité, politiques sociales défaillantes, absence de discours fédérateurs et d’actions solidaires unanimement décidées, médiatisation à outrance y compris sur Internet de l’intolérance et de l’ignorance, etc.), les clivages entre les communautés se font cruels. Lucas Belvaux produit l’effort d’apporter un regard critique sur des stratégies politiques conçues pour occuper des postes à responsabilité – et non pas pour occuper ces postes de façon responsable. Ces manœuvres de conquête du pouvoir sur fond de chantages, de manipulation des électeurs (voire des élu·e·s comme ici avec Pauline, cette naïve candidate qui se présente sous l’étiquette du Bloc Patriotique sans avoir trop réfléchi à ce qui se cachait derrière), de ratonnades, d’intrusion dans la vie privée et autres procédés dégueulasses, sont ici loin d’être glorieuses.

Ainsi ce film, aussi maladroit et modeste soit-il, gagnerait à être montré à tous ceux qui, tentés par le vote FN, seraient prêts à embrasser des programmes « nationalistes révolutionnaires » (euphémisme pour « nazis »), n’en auraient pas perçu les arrière-plans – la photo de Charles Maurras (1868-1952)* en évidence sur une commode chez ce bon vieux docteur Berthier, ex-député du Bloc Patriotique, joué par André Dussolier, et au final pas aussi débonnaire qu’il n’en a l’air, est aussi là à ce dessein –, n’en auraient pas calculé les funestes visées, ne seraient pas gênés par l’extrême violence sous-jacente aux rhétoriques frontistes si éloignée bien évidemment de la véritable cordialité (un autre euphémisme pour parler de l’amour) à laquelle tout être humain normalement constitué aspire. Si l’histoire de Chez nous est cousue de fil blanc (on a du mal à croire à cette histoire d’infirmière, dont le père est communiste, dont le petit ami est un  peu nazillon sur les bords, et dont Agnès Dorgelle/Marine Le Pen s’entiche dans l’espoir de voir s’étendre sa mainmise sur une région), il n’en demeure pas moins que son intérêt réside dans l’éclairage apporté aux arrière-cuisines du Bloc Patriotique/Front National largement insalubres et très nauséabondes.

Bref, aux antipodes de la ligne émise par la maire de Barcelone Ada Colau (à savoir « Casa nostra, casa vostra » soit « Notre maison est votre maison »), Chez nous brosse le portrait d’une société désespérée, qui a perdu le goût de la gentillesse désintéressée, qui ne sait plus vraiment à quels saints ni quels diables se vouer. Mais dont le cœur bat encore. Si bien qu’il est permis d’espérer.

Post-scriptum : cette chronique a été rédigée bien avant les résultats vaguement déprimants du 1er tour des présidentielles de ce 23 avril 2017. Chez nous fera l’objet d’une séance de rattrapage à l’Arvor rue d’Antrain ce vendredi 5 mai à 17h45.

* Charles Maurras, antisémite notoire et néanmoins homme de lettre, fut fasciné par Mussolini, Franco, Pétain, mais pas trop par Hitler cependant car il n’aimait pas les Allemands… Il fut déchu de ses droits civiques à la Libération et condamné à la prison à perpétuité.


Chez nous, drame franco-belge de Lucas Belvaux – Avec Émilie Duquenne, Catherine Jacob, Stéphane Caillard, André Dussolier… – Durée : 1h58 – Sortie le 25 janvier 2017.

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