L’amour sans peine de François Ayroles, petites misères des grands sentiments

Dans cet ouvrage au titre de manuel de développement personnel, L’amour sans peine, François Ayroles questionne nos représentations et les discours sur le sentiment amoureux à travers une série de saynètes caustiques. Savoureux.

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Dans la même veine que son précédent ouvrage Les amis paru en 2008, où il analysait avec une certaine froideur drôlatique les lois implicites des rapports humains, François Ayroles poursuit son entreprise sociologique et ironique en s’attaquant à ce sentiment transcendental, j’ai nommé l’amour.

On y découvre une galerie de personnages envisageant le sentiment sous un abord théorique et désincarné, tels ces deux culturistes s’interrogeant sur leurs sentiments profonds durant leurs séances sportives. Un enseignant raconte ses différentes liaisons à sa classe en les illustrant sous forme de tableau « voici une courbe qui décrit le phénomène. En abscisse, la durée de la liaison, en ordonnée l’intensité du sentiment ».

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François Ayroles a une écriture très littéraire dont les effets comiques jouent sur le décalage entre les discours des personnages et la trivialité, voire l’inadaptation manifeste du contexte. On note chez eux une volonté manifeste de compréhension, un discours psychologique mais qui tombe toujours à côté.

« Monsieur, j’ai du mal à y voir clair parmi toutes ces catégories : ferveur, ardeur, passion, flamme etc. Vers laquelle conseilleriez-vous de s’orienter ? »

L’auteur décrit avec ironie l’état d’esprit de notre époque, on y trouve par exemple résumée en quelques phrases la mentalité des sites « de séduction », « figure-toi que la séduction obéit à des lois ! Des lois !? Mais lesquelles ? Et que se passe-t-il si on les enfreint ? » se questionnent avec angoisse nos deux sportifs tout en courant sur un tapis de course.

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Il y a un peu de Bouvard et Pécuchet dans les personnages de L’amour sans peine ; ils partagent avec les héros de Flaubert l’enthousiasme du néophyte allié à une passion des discours et des poncifs. En effet, ils glosent sans fin en élaborant des théories (fumeuses) dans des contextes totalement inadaptés. Tous les personnages courent après l’amour comme une substance immatérielle aux contours flous.

L’intensité des sentiments désirés ou exprimés contraste avec la froideur concrète des rapports ; l’amour semble être un simple élément déclaratif et non pas un vecteur de lien entre les personnes, au point que les personnages s’enfuient dès qu’une situation spontanée pourrait se produire. Leurs interrogations restent formelles, ressemblant à une version contemporaine d’un guide des convenances.

Ainsi on feuillette un catalogue des concepts associés au sentiment : extase, passion, douleur, transe, jalousie… sans laisser aucune place à la pulsion. L’amour est investi d’une immense attente tout en étant vécu sur le mode d’une transaction commerciale dont on évalue longuement le rapport coût / bénéfices pour estimer sa pertinence de façon ‘rationnelle’, ce qui est assez bien vu par rapport à notre société; un humour pince-sans-rire des textes largement souligné par le style sobre des dessins.

L’amour sans peine de François Ayroles, Éditions L’association, 176 pages, 19 euros – Paru en septembre 2015

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