L’Étreinte du Serpent, de Ciro Guerra : l’enfer vert, c’est les autres.
Si chaque film est un voyage, ou même carrément plusieurs en même temps (par exemple La Vie très privée de M. Sim est un voyage dans les Pouilles italiennes, dans le Sud de la Fance, dans la tête d’un homme défait qui refait sa vie, à bord d’un voilier tourdumondiste et d’une Peugeot 3008 hybride lancée sur les routes de province), L’Étreinte du Serpent est une étonnante aventure exploratoire. D’abord, le choix du noir et blanc est une manière d’affirmer que l’on voyagera dans le passé. On plonge en effet dans le XXᵉ siècle d’avant Google Earth, d’avant les satellites et la cartographie millimètre par millimètre de quasi toute la planète. Voyage dans l’Histoire donc et dans ces temps pas si anciens qui semblent cependant si éloignés de nos vies ultra-connectées et sur-informées.
Un explorateur américain, Richard Evans Schultes (Brionne Davis), en 1940, marche sur les pas (ou pagaie) sur les pas (ou dans le sillage) d’un vieil ethnologue allemand, Theodor Koch-Grünberg (Jan Bijvoet), qui l’a précédé dans la forêt vierge en 1909. L’un et l’autre, pour des raisons différentes liées à une plante aux vertus rares et hallucinogènes, cherchent (et trouvent) un même puissant chaman, Karamakate (vieux, campé par Nilbio Torres, et jeune interprété par Antonio Bolivar). Voyage de découverte et d’entraide mutuelles, avec ses risques et déconvenues.
Comment vivre dans la jungle ? En autarcie érémitique ou en groupe ? Comment la mémoire et les mœurs se transmettent-elles et circulent d’une génération à l’autre, d’un continent à l’autre, d’une rive ou d’une orée à l’autre ? Quels sont les écueils à éviter sur lesquels l’humanité ne cesse de se drosser, semble-t-il inévitablement ? Quelles perversions guettent tout groupe désorganisé, privé, justement, de mémoire et de repères transmis par les sages de la génération précédente ?
Voyage anthropologique, psychédélique et initiatique, L’Étreinte du Serpent, je vous l’ai dit, est un voyage, éprouvant et fantastique… qui donnerait presque envie de rester terré chez soi tant le monde extérieur peut s’avérer hostile.
L’Étreinte du Serpent (El Abrazo de la Serpiente), film colombo-vénézuélo-argentin de Ciro Guerra – Avec Nilbio Torres, Jan Bijvoet, Nicolás Cancino, Brionne Davis, Antonio Bolivar… – Durée : 2h05 – Sortie le 23 décembre 2015 – 68ᵉ Festival de Cannes : Art Cinema Award (CICAE) de la Quinzaine des réalisateurs – Abricot d’Or du meilleur film au Festival international d’Erevan.