La loi du marché : un drame qui rappelle que le combat est le père de toutes choses, de toutes le roi.
Ça ressemble à un mélange (réussi) entre un reportage animalier sur les grands fauves et un enchaînement de séquences de Strip-Tease, l’émission culte belge des années 90 et 2000 sur le quotidien improbable de quidams forcément pittoresques – la vie des autres a un pouvoir fascinateur indubitable. Ici, on suit Thierry dans son biotope – c’est lui le grand fauve en question : sa proie, c’est du boulot. Pour payer ses factures. Il est en chasse. Il se ressource au marigot de Pôle-Emploi, où il rencontre d’autres carnassiers, fébriles face à Thierry qui est de plus en plus énervé après les vains stages et les formations inadaptées. Il s’abreuve au bureau de sa banquière, qui guette la faille, qui attend le premier sang et qui conseille à Thierry de vendre la maison qu’il aura fini de payer dans moins de cinq ans. Il côtoie ses anciens collègues, licenciés (plus ou moins abusivement) d’une même usine, qui chassent en meute, syndiqués de la première heure qui n’ont pas dit leur dernier mot et face auxquels passer pour un lâche est le dernier des souhaits. Il se restaure en famille autour d’un poulet-haricots-verts ou lors des cours de rock collectifs qu’il suit avec sa femme. Thierry est préoccupé par les études d’un fils handicapé, dont il s’agit coûte que coûte de financer les études en IUT, quitte à vendre le mobile-home, quitte à accepter un infâme boulot de surveillant de supermarché chargé de traquer les irrégularités et de participer à un vaste plan de dégraissage des effectifs…
Pour Thierry et son collègue chevronné, la traque à la resquille est facilitée par un arsenal de 80 caméras qui espionnent caissières et clients.
La vie est cruelle dans cette jungle d’abondance, de rayons garnis et de pénurie où la bagarre naît d’un beefsteak volé à l’étalage et où la priorité est de fuir toute forme de responsabilité en cas de suicide sur les lieux de travail. Le combat est partout. Sans être physique, la violence est là, palpable, sous-jacente, qui dynamise (voire dynamite) les rapports sociaux. Y survivre est un acte héroïque, répété chaque matin. Le cynisme de cette société marchande où les salauds sont monsieur-tout-le-monde est flagrant. Instable comme la Super 8 familiale, la caméra de Stéphane Brizé, implacable témoin, à hauteur d’homme, à hauteur d’épaule, les débusque, sans les blâmer.
La loi du marché montre que cette loi (de la jungle) est l’affaire de tous.
N.B. : La bande-son hyper-réaliste (bip-bip électroniques des caméras de télésurveillance, bzzz des néons blafards, silences pesants ou entendus, chorale des employés de Cora pour un départ en retraite qui reprennent à leur sauce, en hommage à leur collègue qui s’en va, du Patrick Bruel…) mérite elle aussi une mention spéciale.