La Plume et le Brise-glace : Lucio/Serra, un étrange air de famille

2015 serait-il « le nouvel Eldorado » du rap ? 20 ans après son « âge d’or » et les sorties d’albums en 1995 (entre autres) des NTM, AKH, Fabe, Raekwon, Mobb Deep, Tupac ou de The Roots, Wu-Tang… nous voici cette année avec les bombes de Kendrick, Ali, Action Bronson, Ceschi, Cannibal Ox, Lupe Fiasco, JP Manova, Run The Jewels, B2o, Joey Badass auxquels s’ajouteront bientôt celles de Kacem Wapalek, Al, La Gale, Rezinsky, ou Dälek. C’est d’ailleurs l’inondation à L’Imprimerie Nocturne tellement on bave dans ce premier semestre. Et voici que nous tombent du ciel une Plume et un Brise-glace ! Cette fois-ci ça se passe autour d’un trio gagnant : Anton Serra, Oster Lapwass et Lucio Bukowski. Alors « Thanks God, it’s thousandfifteen ! »… Définitivement !

« Indépendants jusqu’à l’échec. »

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La Plume et le Brise-Glace : deux armes étrangement impopulaires comparées à la célèbre faucille et ce bon gros marteau d’antan. On pourrait définir la Plume comme l’outil de travail des rappeurs et le brise-glace comme l’issue de secours à laquelle on s’accroche si souvent au quotidien. Ce qui est sûr, c’est que c’est un pur travail artisanal made in Lyon. Et ce coup-ci, on nous propose un match qui pourrait rester plus longtemps que dans les bacs de la Fnac. Dans le coin gauche, nous avons Anton Serra : 4 victoires à son compteur et surtout de très nombreuses apparitions bien « fat » sur d’autres rings pour autant de K.O. sismiques. Le « sale gone » est un activiste chevronné préférant aider les copains comme dans un bon match de catch en enlevant, bien évidemment, les faux-semblants. De l’autre côté, Lucio Bukowski : 15 victoires (à peu près) salement poétiques, et Dieu sait que je suis nul en maths (et en poésie) tellement les projets ont été nombreux. Merci de gentiment me pardonner. Plutôt que de s’affronter, les deux poids lourds se sont réunis pour unir leur voix contre la merditude des choses dans un match de 57 minutes divisé en 15 rounds. Enfin ! Nous l’attendions (presque) tous ! L’arbitre ? Qui de mieux que l’acolyte beatmaker de toujours Oster Lapwass pour dégager et éclairer les pistes. L’alchimie est prête ? So… let’s go and play !

« Si c’était mieux avant, on était rappeur plus tôt… »

S’il y a un « poing » commun ou plutôt un air de famille à pointer du doigt entre les deux artistes, c’est bien leur activisme dans le milieu rap. Depuis 5 ans par exemple, Lucio Bukowski nous habitue à sortir un EP ou un album tous les 3 mois environ. Chose tellement rare pour être soulignée, la qualité est toujours au rendez-vous. Anton Serra, quant à lui, a sans doute plusieurs clones sur Terre au vu de ses incalculables apparitions. Malgré cela, les connait-on vraiment, nous demandent les deux rappeurs sur Portraits. Ça y est ! C’est le début de La Plume et le Brise-glace. Portraits retrace les deux autocritiques des Lyonnais portant sur leurs carrières et vies respectives. À contre-courant des égo-trips auxquels ils nous ont habitués jusqu’ici mais… Ta-ta-tat ! On y vient ! Les deux Lyonnais racontent comment ils ont pris lentement leur revanche dans Les lions sont solitaires, au nez et à la barbe de l’industrie du disque et de tous les marionnettistes en faisant référence plus particulièrement au Festival Original de Lyon. Avec en prime, un beau renvoi au « mat du lion ». Appelé aussi « le mat de l’imbécile », le mat du lion est l’un des plus célèbres coups aux échecs (voir clip en fin de chronique). Il n’y a pas que les musiques d’ascenseur qui montent, les productions de Mister Lapwass aussi (et en puissance). La guitare électrisant l’atmosphère sur la fin du titre. C’est parti pour le choc !

« Pour tuer le match, je n’ai jamais eu besoin de deux mi-temps. »

Agressifs, n’ayant rien perdu de leurs verves, les poids lourds en prennent sacrément pour leur grade et ce même si les deux MC font partie de la catégorie poids plume : que ce soit C2C, Skyrock, Canal +, la technologie, L. Bouneau, Tintin, Fidel Castro et j’en passe, les ennemis sont renvoyés dans les cordes (ou par-dessus la 3e, au choix). En contre-partie et comme pour rééquilibrer la balance, nombreux sont aussi les hommages positifs notamment envers Thomas Sankara, Alain Robert, le whisky, Balavoine, Mallarmé ou encore Bob Marley, etc. Bien que la Plume semble parfois plus agressive que le Brise-glace, on assiste à de grandes variations niveau productions sur l’album : tantôt pseudo-dépressive (Aubergine), tantôt solitaire (Je ne suis qu’un interlude; P’tit con) ou en mode « chill posey bebey ! » (Pinnacle, Code caduc). Oster Lapwass jongle et trouve les bons mouvements. Avec un combo +15, difficile de le rattraper ! Tintin au Congo remporte la palme du morceau le plus massif de l’album, fait pour rééduquer les wacks et les Gepetto du rap. À noter la présence d’Hakan le Grand et d’Eddy Woogie, faisant partie également de la meute de L’Animalerie. Les sept péchés remporte le prix de la meilleure mise en scène. Deuxmilletreize le nerveux précède Pinacle le cool pour ponctuer un album qui n’a de cesse d’escalader des montagnes avant de redescendre tranquillement pour retrouver le calme. Un album à leurs images : nombreuses, infidèles, prouvant une fois de plus que les deux comparses ont franchi plus que des étapes (et je parie qu’ils s’en moquent bien). Alors quelle issue dans ce combat ? Un acte résolument révolutionnaire de plus ? Non, plutôt une obsolescence programmée bien calculée puisque la touche « repeat » existe. La jauge de vie est donc inépuisable. « L’important n’est pas la victoire, mais le combat » gueulait Daïtro !