Le froid glacial tombant sur Clermont-Ferrand n’a pas refroidi les ardeurs de La Canaille. Tambour battant, Marc Nammour, leader du groupe et son équipe ont réchauffé l’atmosphère de la grande salle de La Coopérative de Mai avant l’entrée en scène de « la famille », leurs potos du Peuple de l’Herbe. Avant le concert, L’Imprimerie Nocturne a pu déambuler dans les couloirs ténébreux de la Coopé’ et s’entretenir avec le chanteur, l’occasion de revenir sur leur dernier et troisième album : La Nausée (voir chronique). Mais pas seulement. Car la grande chance c’est qu’avec Marc Nammour, on peut aussi refaire le monde. Et bordel qu’est-ce que ça fait du bien !
Pour commencer tranquillement et pour nos amis bretons qui ne te connaissent pas, qui est La Canaille ?
Marc Nammour : La Canaille c’est d’abord un collectif de musiciens qui veulent bien travailler avec mes textes. Je suis le fil directeur au niveau du texte et du fond.
Tu t’es entouré de musiciens différents à chaque album. Pourquoi ? Et comment se sont faites les connexions ?
M.N : Je collabore toujours avec des gens que j’ai rencontrés sur la route. Je ne peux pas me dire : « je vais faire un casting! » Ça n’a pas de sens pour moi. À chaque fois, c’est des rencontres que je fais sur la route, des rencontres humaines avant tout et on discute ensuite « artistique » car pour qu’il y ait collaboration, il faut un sens artistique. Il se trouve que les trois formations différentes (La Canaille a réalisé trois albums à ce jour, ndlr) se sont montées comme ça. Il y a eu le départ de certains notamment des membres fondateurs de La Canaille et pour les remplacer, j’ai eu des affinités avec certains et je leur ai demandé si ça leur bottait de bosser avec moi. Sur le troisième album, c’est « Pepouse » (Jérôme Boivin) qui était venu pour remplacer le bassiste de la formation originelle sur la fin du deuxième album. J’ai kiffé son jeu, j’ai kiffé sa poétique et c’est lui qui a constitué ce troisième groupe et qui défend La Canaille. C’est des potes à lui qui ont complété le groupe dont le batteur (Alexis Bossard). C’est important pour moi que les musiciens se connaissent bien et qu’ils aient des affinités. C’est beaucoup plus simple pour travailler.
« C’était important pour moi de montrer que le rap, c’était mon biberon ! »
T’as fait appel à Dj Fab et Dj Pone, des « vieux de la vieille » de la scène rap/hip-hop. C’était une volonté de ta part de revenir vers cette essence hip-hop ?
M.N : Complètement. Pour moi, ce troisième album est un retour aux sources. Le premier album avait des influences orientales, le deuxième était dans la fusion hip-hop/rock et ce troisième album est plus électro, plus épuré au niveau musical. C’était important pour moi de montrer que le rap, c’était mon biberon. Aujourd’hui j’ai 37 ans, j’ai à peu près l’âge de cette musique. J’écoute du rap depuis mes 12 ans, c’est ce qui m’a fait entrer dans la musique. Même si aujourd’hui je n’écoute pas que ça non plus, c’est quelque chose que je revendique et c’était important pour moi de faire appel à des activistes et des pionniers de cette musique en France. Alors quoi de mieux qu’un DJ ! Ce sont des hommes qui travaillent dans l’ombre et j’avais envie de les mettre en avant sur cet album. Dj Pone, c’est quelqu’un que je respecte énormément pour son travail et il a su évoluer avec son temps. Dj Fab, c’est un gros activiste de ouf. À Paris, on a une radio qui s’appelle Génération 88.2 et il a toujours son émission « Underground Explorer » qui est de pure qualité. C’est quelqu’un que je respecte énormément et je suis hyper fier qu’ils aient accepté ma proposition.
Je vais partir sur un sujet totalement différent. Je sais pas si t’as vu la prog’ du Hellfest. Il y a un mélange de grosses têtes d’affiches et de groupes moins connus pour les néophytes comme moi. Dans le milieu rap, on n’a pas ça. Comment tu l’expliques ?
M.N : Il y a pourtant des festoches qui sont ouverts notamment à Montreuil : le Narvalo City Show. C’est un regroupement où tu assistes dans la même soirée à des concerts d’une quarantaine de rappeurs issus d’horizons différents. Après, je ne sais pas… (il marque une pause) C’est quelque chose aussi que je regrette énormément que le milieu rap indépendant ne se sert pas plus les coudes que ça. Premièrement, c’est dur de mener ses projets à bien. Avant de t’allier avec d’autres personnes, c’est tellement une baston de porter ton projet qu’il ne reste plus beaucoup de temps à côté pour construire des affinités malheureusement. Mais je souhaite que ça change dans l’avenir et je serai le premier à participer à cette énergie car soudés, on est plus forts.
« Tu ne changes pas le monde avec des chansons. »
Tu cites plusieurs fois La Rumeur dans tes interviews. Leur musique était qualifiée par eux-mêmes de « rap de fils d’immigrés ». La Canaille de »rap de fils d’ouvriers ». Est-ce que c’est facile de porter cette étiquette-là ou est-ce que ça te fait chier ?
M.N : Non, absolument pas. C’est quelque chose que je revendique clairement. Je fais plutôt du rap de fils de prolo car prolo c’est plus large qu’ouvriers. Prolo, c’est la majeure partie de la population : les petits boulots, les caissières, les ouvriers bien évidemment en passant par les profs… Ceux qui n’ont que leur force de travail et on a besoin de ça. Aujourd’hui la société est bien divisée. Diviser pour mieux régner, c’est le créneau de notre société. On a besoin de s’allier. Dans une chanson comme « Jamais nationale », je le répète encore mais mon identité est sociale avant tout. Justement, en revendiquant que je suis fils de prolo, j’ai l’impression que le champ des possibilités est énorme. Il laisse la place à tous de s’y reconnaître dedans.
J’ai lu une autre interview de toi dans laquelle tu dis que plus la répression est forte, plus l’alternative l’est aussi et que c’est le point positif de tout ça. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
M.N : L’alternative pour moi c’est déjà d’en parler, d’arrêter de s’agrafer la bouche et de s’autocensurer. En crevant l’abcès, tu brises le silence et c’est déjà une avancée folle. Car combien sont en train de souffrir en silence et rasent les murs au quotidien. C’est une démarche, t’en parles aux alentours, t’en parles à ton entourage proche. Ça peut faire office de mini débats ici et là pouvant faire avancer les choses. Je monte de mon côté sur les planches. Je crie haut et fort le désespoir ou la rage, la joie du milieu dans lequel je viens…
(Je le coupe) Est-ce que tu penses que cet engagement sur scène est suffisant ?
M.N : Non bien sûr, tu ne changes pas le monde avec des chansons. Le monde va changer politiquement à travers les urnes, il va changer en manifestant, il va changer en prenant le pouvoir, il va changer en s’organisant, en créant un parti. On va changer à partir du moment où on va arrêter de se faire représenter par des apparatchiks qui sont complètement coupés du peuple. Là, le monde va pouvoir changer. Avec la chanson, tu participes à diffuser le message et c’est déjà pas mal. La musique est moins austère qu’un discours politique mais en même temps tu peux balancer autant d’idées et de valeurs. Je le fais à travers la musique car c’est là que je m’exprime le mieux.
D’ailleurs, qu’est-ce que t’écoutes actuellement ?
M.N : La dernière claque que je me suis pris c’est l’album Kendrick Lamar (« Good Kid, M.A.A.D City »). J’adore aussi l’écriture d’un mec comme Virus. Après, je n’ai pas écouté de projets récents qui m’ont donné une grosse tarte. J’en ai aussi certainement loupé. J’ai beaucoup écrit en ce moment, j’avais la tête dans mon ordi.
Est-ce que t’as des projets futurs ?
M.N : Plein ouais. Je suis en train de bosser sur un Maxi avec que des inédits de l’album pour une réédition. On parlait d’union et là ce sera le cas avec trois featuring. Je pars ensuite en studio pour enregistrer un autre projet qui va parler des banlieues. On va mettre la banlieue au centre des préoccupations et faire notre hommage. J’ai aussi un projet poétique qui va se monter avec une équipe qui n’a rien à voir avec le rap et c’est ça qui me nourrit aussi. C’est une autre façon d’écrire et il y aura également une tournée de prévu. Enfin, j’ai toujours le projet sur Aimé Césaire que je tourne encore actuellement avec Serge Tessot-Gay.
Ça fait beaucoup de projets !
M.N : T’es obligé ! D’une, ça me nourrit car je suis dans des registres différents. Ça me permet de ne pas tourner en rond et de me renouveler. Puis financièrement t’es obligé. Si t’es à la marge du système et que tu ne vends pas des millions de galettes, t’es obligé de multiplier les projets.
Merci La Canaille et bon courage sur scène.
M.N : Merci à toi !