Kyma, des crampes et des samples au moral

Le 12 octobre 2013, le 1675 de Rennes accueillait Kyma, un groupe de rap qui traîne depuis les années 2000 sur le bas côté. Alors pourquoi marcher dans le fossé ?

Parce que le constat, qu’il soit politique, social ou économique, est souvent moche, et que les textes de Cesko ne font que peindre les mauvais côtés de la nature humaine. Longtemps étiquetés par la pochette des Chants du Barillet représentant une kalash, Kyma a sorti l’an passé Crampes mentales hémisphère gauche. Le deuxième volet ne devrait pas tarder. L’Imprimerie a donc profité de leur passage à Rennes pour leur poser quelques questions. Réponses de Cesko et Dj Fysh.

kymaBonjour. Comment vous présenteriez-vous pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Cesko : comme un groupe de musique un peu porté sur les textes influencé par la culture rap ! C’est compliqué…

Fysh : on a commencé il y a 15 ans, et à l’époque on ne se présentait pas de la même manière, on a évolué. Ça reste le même projet mais il a grandi avec nous. On disait « politik electro rap », maintenant c’est passé à..

Cesko : rap electro polémique !

Fysh : ou dark rap musique.

Au niveau du travail d’écriture pour les albums, comment ça se passe ?

Cesko : on discute pas mal, de ce qui passe autour de nous. Il y a toujours des débats qui reviennent, donc ça se solde par des morceaux sur ces thèmes là. Après j’aime bien regarder des documentaires, lire, m’enfermer avec, c’est pas forcément très marrant. Je m’inspire de plein de choses, et après je rappe.

Est-ce qu’il y a des groupes qui vous ont donné envie de faire du rap, qui vous ont influencés ?

Cesko :  faire du rap c’était pas un plan; on  écoutait du rap, beaucoup de mots, beaucoup de textes politiques, donc on a commencé à faire de la musique, ça me paraissait évident d’utiliser la culture à ces fins là. C’est après coup qu’on s’est rendus compte qu’il n’y avait pas tant de groupes que ça à utiliser la culture dans cette direction, mais on s’est pas rencardés en se disant « tiens on devrait avoir un projet, ça devrait être un groupe de rap engagé ».  On était issus de cette culture donc ça paraissait plus logique de faire ça que de l’opéra ! Pour le côté engagé ça me paraissait normal, il y avait plein de choses à dire, plein de choses qui nous choquaient.

« Le rap malheureusement il a pas évolué en marge de la société, il a évolué avec la société »

Votre style de rap a un peu changé, vous en parliez dans d’autres interviews, mais le rap dans son ensemble a évolué; vous voyez ça comment ?

LTM---Le-Kyma-6Fysh : il a évolué ça c’est sûr, dans le bon ou le mauvais, ça j’en sais rien ! En toute honnêteté j’en écoute toujours énormément, mais il y a moins de personnes qui me plaisent aujourd’hui. Ça m’empêche pas d’aller écouter ce qui se fait, mais dans ce que j’aime écouter au départ, des trucs plus énervés, il y en a beaucoup moins aujourd’hui.

Cesko : je pense qu’il y a moins de groupes engagés dans les trucs connus, mais on a quand même découvert il y a trois ou quatre ans une scène underground. On en parlait tout à l’heure, des groupes comme Assassin ou La Rumeur ont fait des petits; après est ce que ce sont des groupes qui vont perdurer, faire des disques..

Fysh : ça reste très underground,  c’est pas comme en 1995-2000 où il y en avait énormément, les mecs étaient signés, ça sortait plus facilement.

Cesko : oui même le rap qui était programmé sur skyrock avait du sens, par rapport à aujourd’hui quand tu regardes ce qui passe.. Je suis un peu comme Fysh, j’adore écouter ce qui peut émaner des quartiers, donc même un mec comme Booba je l’écoute. Après le rap malheureusement il a pas évolué en marge de la société, il a évolué avec la société, sur un truc ultra bling bling. Il s’est aussi beaucoup communautarisé aussi; ça s’occupe plus vraiment du collectif, ça parle beaucoup trop de religion à mon goût, de trucs privés, donc je m’y retrouve un peu moins.

Il y a moins de deux heures j’ai vu une cabine téléphonique taguée « Tuons les roms »; comment vous percevez le climat actuel et la montée des nationalismes en Europe ?

Cesko : est ce que c’est pire qu’avant, l’histoire nous ayant déjà montré des trucs hardcore ? Notre album s’appelle Crampes mentales parce qu’à un moment on arrive à un niveau du débat où ça fait mal à la tête, on a du mal à trouver des réponses. Le mec qui met « tuons les roms » c’est insoutenable, mais c’est du slogan, c’est marketing ! Aujourd’hui en France on en est arrivé à des communautés qui peuvent pas se blairer et qui manquent de tolérance. Ce qui est un peu différent, c’est que j’ai l’impression de sentir des choses plus organisées du côté des partis fascistes. Même à Tours avant y avait pas de skins, maintenant il y en a qui marchent la tête haute, et j’ai l’impression qu’il y a personne en face.

kymarennesSkalpel, qui jouait ici le mois dernier, se consacre aujourd’hui en parallèle de la musique à l’écriture; est-ce qu’à l’avenir explorer de nouvelles formes d’expression vous motive ?

Cesko : ça fait 15 ans que j’aimerais bien écrire des bouquins, mais il faut une super rigueur ! Cet été j’ai commencé à écrire des nouvelles, et j’ai trouvé que c’était harassant. Je trouve que ce serait pas mal pourtant, parce que les morceaux c’est un peu limité; faire quelque chose sur la situation en Palestine comme « Le chant des oliviers coupés », ça reste un gros débat à résumer en 3 minutes; peut être qu’écrire un bouquin permet d’être moins succinct, mais c’est un autre boulot. Puis je sais pas qui tu touches en écrivant des bouquins, si c’est pour parler à quelqu’un qui est déjà au courant.. la musique c’est un peu plus populaire, jusqu’à maintenant en tous cas ça a été un outil suffisant pour nous, même si par moments j’en vois un peu les limites.

Vous avez un slogan « en aucun cas une chanson ne doit servir à rien »; ça sous-entend qu’une création qui n’est pas militante au départ est inintéressante ?

Cesko : c’est surtout que j’entends beaucoup de chansons qui servent à rien ! Sans forcément parler de chansons qui seraient pas politiques, mais des chansons qui résolvent rien pour eux personnellement. C’est une façon pour moi de dire que la culture, que j’appelle un peu éducation populaire, en aucun cas ça ne doit servir à rien. Si aujourd’hui on a une liberté d’expression, c’est pour envoyer bouler, pas pour faire des trucs qui vont plaire à tout le monde. On a la chance d’avoir des concerts qui sont quasiment des tribunes politiques, donc il faut en profiter. Vu la situation dans laquelle on vit, pour moi quand tu prends un bout un papier, que tu veux peindre un tableau, c’est pour envoyer du message, mais pas forcément du message qui fait mal à la tête, mais que ce soit pas juste « ah lala j’ai mal au doigt regardez moi ». Une chanson pour moi ça doit servir à quelque chose.

kymadatesCe soir vous jouez dans un lieu militant breton, qui défend son identité linguistique, et dans une région qui lutte souvent pour son autonomie; ça a un sens pour vous de venir ici ?

Fysh : à quand le concert en Corse !

Cesko : question polémique. Pour moi ce sont des terrains glissants, j’ai pas encore assez de bouteille pour savoir si c’est bien ou pas. Parler breton, cool. Mais quand j’entends des discours nationalistes, je me dis que défendre son bout de rocher c’est un peu pareil. Après c’est facile pour moi de dire ça, je viens d’une région où on n’en a franchement rien à foutre, on est pas sur « la Touraine libre ». Juste d’extérieur ça m’a fait peur; mon frère à Toulouse traîne dans des milieux occitans, ça m’est arrivé d’aller dans un bar avec la carte en occitan et je me sentais vraiment comme un con. Est ce que c’est vraiment utile de défendre ça ? J’ai pas la réponse, mais plutôt des questions : est ce que c’est pas du nationalisme ? jusqu’où ça peut aller pour quelqu’un qui est étranger à tout ça ?  Sortir d’un grand ensemble au dessus de nous, comme l’Europe, aujourd’hui le seul parti qui tient ce discours c’est le front national. Mais d’un autre côté  je pense que c’est en petit groupe, en local, qu’on peut faire d’autres choses; un représentant pour une région c’est peut être un peu plus humain qu’un seul pour des milliers d’individus.

Depuis 2000, vous tournez en indépendant, dans des petits lieux, avec un propos à contre courant; est-ce que c’est pas un peu fatiguant ?

Fysh : c’est enrichissant ça c’est sûr. Jouer dans des bars, des squatts, c’est cool, mais c’est vrai qu’il y a des moments où on se dit que c’est un peu limité au niveau du matériel. Mais humainement parlant c’est 100 fois mieux que de jouer dans des grandes salles. Ça fait 15 ans que je fais ça, et si on est toujours là c’est que c’est cool. Ça sera jamais fatiguant d’aller polémiquer et de venir balancer, comme tu disais, notre son à contre courant.

kymacrampesmentalesVous devez sortir prochainement le second volet de Crampes mentales.. on veut tout savoir !

Cesko : ben nous aussi on voudrait bien tout savoir ! Ça va être dans la même lignée que l’hémisphère gauche.

maintenant ce sera le droit..

Fysh : oui il faut explorer toutes les parties du cerveau !

Cesko : Ça va être dans le même acabit. Quand on a fait le premier, on avait déjà pas mal de morceaux; on voulait le faire en double album mais on a pas eu assez pognon pour investir dans l’objet. Donc on a pas mal de morceaux qui sont prêts, je pense qu’on va en rajouter 2 ou 3. Mais je me méfie de mon écriture en ce moment; je trouve que les milieux engagés sont à remettre en question, même si ce sont des piliers de choses auxquelles on croit depuis toujours; du coup on a des vieux morceaux qui vont rester dans la ligne du Kyma, mais depuis deux, trois ans, j’ai été choqué par quelques trucs.

W-n-n-KYMA----Temps------Machine-11.02Pour conclure, quelle serait votre dernière claque musicale ?

Cesko : je m’oblige à écouter deux trucs nouveaux par jour, parce que j’aurais jamais le temps de tout écouter avant de mourir ! Et je prends plein de claques. Mais en rap ce serait le dernier album de Première ligne.

Fysh : c’était mon album de l’été ! J’écoute aussi plein de dub, cet été j’ai découvert Flox sur un festival, je sais pas dans quoi ça se range, c’est vraiment bien sur scène.

Cesko : j’essaie de me souvenir ce que j’ai pu écouter. En début d’année y a eu La Gale qui était bien.

Écouter Kyma pour prendre quelques crampes

Une interview réalisée avec l’aide de Zo. – Merci à Kyma, au 1675 et aux organisateurs pour leur accueil

Crédits photos : Jean-Luc Janssens, Karl L.

 

2 comments

  1. zopoint /

    Réponse au chapô : Parce qu’on y hoche la tête sur fond de basse ! :)

  2. toxic_v /

    un grand merci à KYMA de retranscrire une epoque bien sombre, cachée sous les stass et les paillettes… pr ma part, jai grandi a beyrouth et jai du mal a accepter le monde ds lequel nous vivons, et trop peu de gens s’en rendent compte…

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