Mommy : un film en format carré (1:1), sur un gus qui ne tourne pas rond.
Oppressant, criard, vulgaire, émouvant, sombre, noir, terrifiant, amusant, innovant… Mommy, le dernier opus de Xavier Dolan, sous-titré en français (car les protagonistes causent en joual, le parler montréalais), ne manque ni de qualités, ni de profondeur de vue.
Force est de reconnaître que ce jeune Québécois a du talent. Et de l’audace. Décrire le quotidien d’une mère veuve et célibataire, Diane « Die » Després (Anne Dorval), à l’approche de la cinquantaine, débordée par les provocations et les crises de violence de Steve (Antoine-Olivier Pilon), son fils hyperactif, incontrôlable et irresponsable qui a été viré – pour avoir causé un incendie qui a sévèrement brûlé un autre jeune – de l’établissement où il était maintenu… décrire le quotidien tonitruant de ce duo brinquebalant, donc, était un sujet casse-gueule. La prouesse réclamait d’excellents acteurs (c’est le cas) et une grande maîtrise des situations improbables borderline (c’est également le cas). On devine même une certaine délectation de la part du réalisateur à ne rien omettre de l’intimité dégradée de cette famille bancale, à ne jamais épargner les spectateurs. Si ceux-ci souhaitaient du pur divertissement sans questionnement ni poil à gratter, ils pouvaient toujours aller passer le week-end à Disneyland. X. Dolan nous plonge tête la première dans le seau d’eau sale où se noie cette pauvre femme. « Die » ne manque pourtant pas de panache ni de tempérament ni de bonne volonté. Mais son fils, comme une voiture sans frein serait difficile à piloter, lui donne décidément beaucoup de fil à retordre et on songe bien sûr à toutes les familles qui ont en leur sein un élément perturbateur – ou à Bouvard et Pécuchet, le fabuleux roman inachevé de Gustave Flaubert, où les héros (deux aimables sombres crétins qui vivent en concubinage et recherchent la Lumière au fin fond de la Normandie profonde) adoptent les enfants d’un bagnard et se heurtent à des soucis d’ordre pédagogique.
Steve (Antoine-Olivier Pilon) se sent à l’étroit dans son univers mental obstrué.
Quand la folie d’un membre d’une communauté s’installe semble-t-il à demeure, quelle·s mesure·s mettre en place ? Qu’espérer pour la suite ? Quelles lois suivre ? Comment sauver les meubles ? Comment la communauté peut-elle assumer ces déviances, ces écarts, ces exceptions ? Peut-elle les ignorer, les prévenir, les éradiquer, s’y faire ? Quelles réponses la société est-elle capable d’apporter face à ces pathologies plus ou moins bien repérées, compliquées à diagnostiquer ? Quelle part d’anormalité est-elle en mesure d’intégrer (sachant que ces anormalités sont en partie sécrétées et entretenues par la société elle-même) ? Là sont les questions qui viennent à l’esprit via cette histoire d’ado terrible impossible à cornaquer – elles sont loin d’être mineures.
Autant de questions qu’à coup sûr se seront posées toutes les personnes prises dans des engrenages tragiques de relations explosives, imprévisibles, pathogènes – engrenages qui se subissent, ou qui se brisent par des décisions radicales (la fuite, la séparation, l’abandon de cette relation vouée à l’échec…), ou qui au contraire s’huilent avec un courage de chaque instant, un refus des mensonges, petites démissions et autres lâchetés, un travail d’équipes consciencieuses, un amour surhumain, une grâce particulière (or ces heureuses vertus sont souvent éphémères, reconnaît X. Dolan ; elles sont compromises par les contingences du quotidien ; elles sont reléguées au rang des douces utopies par les assemblées législatives ; elles sont insuffisamment cultivées).
Avec l’art et la manière, X. Dolan nous démontre que si ces possibilités d’améliorer la donne (et a fortiori les situations indémerdables comme celle où se sont fourrés « Die » et son fils « turbulent ») sont du domaine du rêve ou de l’idéal, elles n’en demeurent pas moins l’issue de secours, la voie de salut de toute civilisation qui croit encore un minimum en la notion de progrès moral – une sorte de feu sacré qu’ils appartiendra à chacun d’entretenir et transmettre.
NB : On soulignera par ailleurs que Mommy est une excellente occasion de revisiter les standards de Céline Dion (un hilarant « On ne change pas » vous sera offert) et d’Andrea Bocelli (« Vivo per lei », dans un karaoké pathétique à souhait).